Arkhos et Kratos

Nous tentons ici une approche aux questions soulevées dans la page L’athénien et le tunisien par celle ou celui qui doute des régimes politiques que les sociétés ont mis en place, en fonction des circonstances sous différentes latitudes, sous le nom de démocratie. Elles nous ramènent aux fondements républicains que sont l’égalité et la liberté, revendiquées dès le début de cette page, mais qui expriment en fait une nécessité : que la singularité que représente chaque individu puisse rencontrer, à chaque moment, dans la société qui définit son environnement, les moyens d’action de son potentiel. En d’autres termes, que la fonction biologique soit l’élément qui conditionne l’organisation de la vie en commun.


Dans ces conditions, la démocratie serait la réponse. Encore faut-il qu’elle ne soit pas l’idée que le pouvoir de quelques uns doive agir pour le bien du plus grand nombre mais qu’elle signifie que le plus grand nombre a vocation à s’occuper des affaires communes. L’égalité fondamentale concerne d’abord la capacité de n’importe qui à discuter des affaires de la communauté et à les mettre en œuvre.

La globalisation


Il est évident que la globalisation nous a offert de façon éclatante l’universalisation, c’est-à-dire une certaine uniformité (voir dans ce Blog le dossier:  Les règles du jeu). Il y a une tendance à rechercher un dénominateur commun qui globalise des évènements locaux comparables d’une région à l’autre. La volonté qu’ont les pouvoirs dominants à faire appliquer, sinon à imposer leur régime, qu’ils définissent comme démocratique, à d’autres sociétés, fait que la démocratie peut aujourd’hui être savourée à toutes les sauces : démocratie partielle, démocratie d’opinions, monarchique et parlementaire, monarchique de droit divin à la marocaine, théocratique à l’iranienne ou putanocratique à l’italienne sous l’ère de Berlusconi… Mais dans tous les cas nous sommes devant des oligarchies.
La globalisation c’est encore la libéralisation économique. dans bien des pays, les minorités au pouvoir se sont emparées de pans entiers de l’économie nationale organisant ainsi un système patrimonial. Des régimes ont bénéficié de la libéralisation en développant un patrimonialisme sur lequel d’autres régimes, bien que plus soucieux de leur image, ont fermé les yeux pour défendre les intérêts de certains au détriment de l’ensemble.  Les élus directs du peuple déguisent ce patrimonialisme en offrant les mêmes pans de l’économie à ceux qui le leur rendent bien. Ce sont principalement les Entreprises de la construction, des services (combustibles,  téléphonie) ou les médias (journaux ou chaînes de télévision).



Oligarchie

La logique du capital est que la richesse est consacrée comme objectif permanent, répondant à la satisfaction de la consommation et, qu’en fait, le capitalisme est l’axe central de l’existence. Cette logique, qui est celle du marché, est ancrée dans le manque et l’égoïsme. Une des causes principales des crises de ce système est qu’une oligarchie favorise la croissance des demandes qui devient incontrôlable, occulte avec soin cette impossibilité de répondre à ces demandes et travestit la réalité par la rhétorique politique et par les promesses qui ne peuvent être tenues. C’est là l’une des formes de corruption des régimes dits démocratiques.

L’enfant…naît dans cette corruption

Les sociétés dites “démocratiques” dans lesquelles nous vivons ne sont pas en réalité des démocraties. Elles sont des oligarchies, c’est-à-dire le gouvernement de quelques-uns.
Tout le monde est supposé membre de la communauté, mais le nombre de ceux qui décident est limité. Le fonctionnement du pouvoir fait que les élites dominantes s’autorecrutent et que les décisions échappent à la discussion de la majorité.
Le rapport à la notion de démocratie est ambigu. On la revendique comme idéologie mais il y a dans ces régimes dits démocratiques un rejet de l’égalité car aucun d’entre eux n’admettrait le fait que personne ne soit fondé à avoir plus de compétence en matière politique qu’un autre.

La démocratie athénienne présentait une caractéristique remarquable en désignant les responsables politiques par tirage au sort dans la communauté –bien qu’elle porta en elle le germe de la contradiction quant à l'absence de toute domination en excluant les femmes, les esclaves, les étrangers.
De nos jours, la notion de démocratie, à partir de l’expérience d’Athènes, ne peut s’incarner dans aucune forme politico-juridique ni être caractérisée par le suffrage universel de la représentation parlementaire. Ce sont des instruments utilisés à leur profit par des régimes en fait oligarchiques dans un cadre “démo-archique". Pour Jacques Rancière, l’objectif principal de cette représentation est la conciliation de deux finalités compatibles et essentiellement complémentaires : le gouvernement des meilleurs (aristo-kratie) et de ceux qui défendent l’ordre social imposé par la défense de privilèges. Grâce à la conjonction de ces deux finalités, combinées aux lois et institutions qu’impose la démocratie, cette classe dominante dispose des instruments nécessaires pour exercer sa domination et, de plus, donner une réponse aux désirs de la société de masse moderne.

La démocratie comme scandale

Un régime peut rendre plus démocratique sa représentation par des mandats des élus plus courts et non cumulables, etc… mais cela ne signifie pas qu’il incarne la démocratie dans la mesure où il gouverne selon un système politico-juridique. La démocratie serait aujourd’hui un état de la société qui n’est jamais réalisé, une puissance d’action contre la confusion des pouvoirs qui rend permissive la domination. Si nous suivons Jacques Rancière (La haine de la démocratie), la notion de démocratie est éminemment subversive car elle remet en cause tous les principes ou fondements d’Autorité (Arkhé) : le savoir, la richesse, la naissance…

Ce mot a une puissance de scandale nous dit Rancière. Car pour ceux qui pensent que gouverner revient à ceux qui ont des titres à le faire –et qui le feront –car garants de l’ordre social en tant que savants, experts, appartenant à des grandes familles ou détenteurs de richesses, il n’est pas supportable de laisser le Pouvoir (Kratos) à la multitude, á ceux qui n’en ont pas les “qualités”

La démocratie n’est donc pas une forme de gouvernement ou un régime. Elle est le fondement de la politique elle-même. Elle est l’affirmation du pouvoir (Kratos) de tous «qui renvoie toute domination à son illégitimité première».

Le politique

Le rejet de l’autoritarisme se manifeste donc dans une dimension morale, éthique. Il représente le politique. Suivons Merleau-Ponty sur ce point La politique concerne un complexe de pouvoirs, d’opinions et de représentations. Il y a les cyniques qui s’adressent à la collectivité comme à des masses corrompues par la société de consommation et de spectacle, qui se satisfont de leur volonté et de la noblesse de leurs sentiments. Il y a les coquins technocrates qui réduisent la politique à un art des moyens. Aucun parti ne dit ouvertement ce qu’il est et ce qu’il fait, chacun a son double jeu. Face à la politique du mensonge des partis, il y a une politique de la vérité (voir: Merleau-Ponty). Le politique n’est pas la politique, mais la recherche du bien commun et la participation de tous à cette recherche[1] .

Notes
[1] Lorsque l’on dit  “tous”  les résidents étrangers doivent être considérés comme des citoyens à part entière car ils participent du projet social en cours. La citoyenneté devrait être attachée à la résidence et non pas seulement à la nationalité. C’est là un impératif démocratique.