Si le scénario se résume à une comédie romantique, la signature de Gray le transforme en un drame de facture existentialiste, dense et chargé d’émotions. Joaquim Phoenix interprète le rôle du maniaco-dépressif si bien décrit par Dostoievski dans le roman que Luchino Visconti transcrit à l’écran (Les nuits blanches) avec Mastroianni et Maria Schell, un film qui ne laissa aucun souvenir dans la filmographie ni du metteur en scène ni de l’acteur.
Phoenix y incarne le personnage de Léo, victime de troubles de bipolarité, avec ses cicatrices aux poignets, se jetant d’un pont dès la première image. Le corps épais, le regard perdu, le sourire enfantin, objet de l’attention maternelle délicate et amoureuse (Isabelle Rossellini). James Gray reprend le thème du fils prodigue. Léo est de retour à la maison de ses parents, comme, dans The Yards, Mark Walberg sortant de prison pour retrouver le noyau familial avec Faye Daneway, James Caan et le cousin Phoenix. Si dans The Yards la famille, d’origine italienne, est embourbée dans une sombre histoire politico-mafieuse, Léo a été élevé, lui, dans la tradition juive avec des parents qui mènent une vie modeste avec leur petit commerce de laverie automatique.
La tension de Walberg qui a payé pour les sombres affaires familiales se retrouve chez Léo qui cherche à satisfaire des parents inquiets. Tâche impossible lorsque apparaît Michelle (Gwenwth Paltrow). Ses troubles de bipolarité atteignent le paroxysme, partagé entre la passion pour Michelle, un amour qui représente l’aventure, la rupture avec l’ordre établi et, d’autre part, la sécurité affective et matérielle d’une union promise à Sandra, choisie par les parents dans le cadre d’un projet de fusion de commerce. L’insécurité ou la fidélité à la tradition familiale. Conflit qui conduira de nouveau Léo sur le pont…
James Gray décrit le retour du fils, le piège du noyau familial, l’échec d’un être faible et généreux, vaincu par la loi du groupe, trompé par la séduction et la soif d’évasion. Un film sur la passion, le pathos, dont la force dramatique est atteinte grâce à l’interprétation magistrale de Phoenix, en particulier à la représentation de ses pulsions –comme lorsqu’il se lance sur la piste de danse. Mais aussi, grâce à la résolution cinématographique de cette dualité entre devenir et permanence que représentent les deux amours de Léo, Two lovers, l’ambiance douillette de la relation sexuelle avec Sandra, l’intensité des émotions qu’éveille Michelle dans le froid glacé de la terrasse.