"L'attentat" (Cycle: Au temps des mensonges)

«Le cinéma n'évoque pas la réalité comme le fait la littérature, ne la copie pas comme la peinture, ne la mime pas comme le théâtre. Le cinéma reproduit la réalité… exprime la réalité par la réalité» (Pasolini)

Affiche du film du cycle à Séville



Ben Barka et la Tricontinentale
L'attentat est un film qui s'appuie sur le cas de Mehdi Ben Barka, bien qu'il ne soit fait aucune référence explicite à ce sujet. Ben Barka est une figure politique importante et caractéristique des années 1960, que l'on pourrait appeler un homme du "Tiers Monde", laïc, anticolonialiste, farouchement opposé à l'hégémonie américaine. On peut le rapprocher plus aisément de personnalités comme Lumumba [1] 


Lumumba est élu en 1960, premier chef du gouvernement de
l'Etat indépendant du Congo


Deux mois après, il est arrêté en accord avec
les services secrets belges et étatsuniens, torturé et assassiné


ou, plus tard, Salvador Allende, que de Che Guevara (voir l'article du Monde Diplomatique sur le thème de la Tricontinentale)

Premier licencié marocain en Mathématiques pendant le protectorat français du Maroc, la guerre mondiale et l'agitation indépendantiste l'amènent à la politique. Il participe à la création du parti Istiqlal et en devient le président, avec la vision d'une modernisation du pays qui en finit avec le sous-développement, l'analphabétisme, les structures féodales et les inégalités sociales. La répression que le roi va mener contre certains membres du parti, après l'indépendance, va l'épargner bien qu'il questionne la monarchie et appuie l'indépendance de l'Algérie. Il reste une des figures les plus charismatiques du pays et le roi le nomme Président du premier Parlement. Dans le milieu des années 1950, il prend contact avec les mouvements et les leaders en lutte contre le colonialisme ou le néocolonialisme. En 1959, les dirigeants politiques qui avaient l'appui des syndicats et des Jeunesses du parti entrent en tension avec le roi et Ben Barka part.


Sidiel/Ben Barka en exil (Gian Maria Volonte)



Il crée un parti en exil, revient le présenter aux élections, dénonce bien entendu les fraudes et, avant que le nouveau parlement soit réuni, des milliers d'adhérents ainsi que le comité exécutif de son parti sont arrêtés et torturés, accusés de complot contre Hassan II. Ben Barka arrive à s'enfuir en Algérie et, pariant sur le potentiel révolutionnaire de la jeunesse du Tiers Monde,  ébauche le projet d'une Université.   
Son dévouement à la cause de l'émancipation du Tiers Monde –tout un exploit dans le contexte tendu de l'époque – et sa  recherche d'un équilibre au niveau mondial, l'amènent à prendre la tête de la "Tricontinentale". Cette organisation regroupe les gouvernements des pays dont l'indépendance est récente et les représentants des mouvements de libération des trois continents: Afrique, Asie, Amérique Latine.

Ceux que l'on nomme aujourd'hui les pays émergents, intégrés avec tous les honneurs dans le sélecte Groupe G7 pour en faire un G20 spectaculaire, sont dans ces années considérés par les Occidentaux, en particulier le nouvel empire USA et les anciens empires France et Royaume Uni, comme une menace importante. A cette époque, le Maroc était déjà le judas à travers du quel ceux-ci surveillaient le continent africain et la CIA conseillait le service de contre-espionnage marocain.


Préparatifs du piège tendu par les services secrets américains et français


Oufkir (Piccoli) à Paris


Contact Oufkir-CIA


Lorsque la "Tricontinentale" est sur le point de se réunir en Janvier 1966 à Cuba –tout un symbole –le gouvernement des USA décide d'intervenir.


Ben Barka aux mains de Oufkir dans une villa près de Paris


Aujourd'hui, nous savons de façon probante que c'est le service de contre-espionnage marocain, sous la coupe de la CIA, avec le ministre de l'intérieur Oufkir à sa tête (Michel Piccoli dans le film), qui a planifié et réalisé le rapt de Mehdi Ben Barka au Boulevard Saint-Germain à Paris (voir la note [2] qui renvoie à l'article de Ali L'mbaret).


L'enlèvement de Sidiel/Ben Barka par des "barbouzes" français



Zoom sur le film



L'attentat se centre sur les personnages de Sidiel et Darrien (réciproquement Ben Barka et Georges Figon dans la réalité). Georges Figon a été une clef essentielle de la trame complexe que représentent l'enlèvement et le meurtre de Ben Barka.


Darrien/Figon (Trintignant ici aves Jean Seberg) dans une manifestation
va être "approché" par les services secrets français


Figon est l'intermédiaire avec la Télévision Française et producteur exécutif d'un documentaire sur la Tricontinentale supervisé par Ben Barka. Les choix du réalisateur Georges Franju et de Marguerite Duras pour le scénario ont l'assentiment de Ben Barka. Celui-ci, de passage à Paris –il est question d'une entrevue avec De Gaulle –est invité à une rencontre avec Figon et certains responsables désignés pour la réalisation du documentaire dans un restaurant du boulevard Saint-Germain. C'est là qu'il sera enlevé. Quant à Figon, il sera "liquidé" plus tard dans ses bureaux de Paris.

Figon est décrit avec toutes les nuances de sa personnalité complexe, dans le film J'ai vu tuer Ben Barka de Serge Le Peron. Ce film, tourné en 2005, donc sans avoir à subir les problèmes de censure en vigueur à l'époque du tournage de L'attentat, décrit de façon assez confuse la préparation d'un documentaire sur la Tricontinentale supervisé par Ben Barka. Chacun des deux films retrace à sa façon la réalité vue sous l'angle du personnage qu'était Georges Figon. Dans son livre, "L'expérience hérétique", Pasolini parle ainsi de Georges Figon: «un héros ravisseur et assassin de Ben Barka» puis, citant François Mauriac «Figon n'est pas un voyou, ce qu'il fait c'est jouer au voyou. S'il l'était réellement, il n'aurait pas conscience de l'être».

Yves Boisset, utilisant la forme classique du thriller, se centre d'avantage sur la trame des services secrets et la personnalité de Ben Barka (Sidiel, interprété par Gian Maria Volonte), que sur la production et la réalisation du documentaire. Avant ce film qui lui vaut son premier prix comme réalisateur au Festival International de Moscou en 1972, Boisset fut l'assistant de Melville, Sautet ou René Clément. Dés qu'il se lance dans la réalisation à son tour, il se gagne très vite la réputation de cinéaste le plus censuré de France. Dans ce film, il s'entoure, en plus de Piccoli et Volonte, de Jean-Louis Trintignant dans le rôle de Figon et Jean Seberg, du scénariste Jorge Semprun dont nous parlerons à propos de Z. La musique de Ennio Morricone ne correspond malheureusement pas à la qualité d'interprétation des acteurs et du scénario.

Notes
[1] voir Lumumba, film du réalisateur haitien  Raoul Peck
[2] Lire l'article de Ali L'mrabet, journaliste au journal Demain, condamné à quatre ans de prison ferme en 2004 pour diffusion d'une caricature du Roi.


"M" (Cycle: Au temps des mensonges)

Une société qui vit une crise économique, l'explosion du chômage, l'augmentation de la délinquance. Ministère de l'intérieur et syndicat du crime à l'action: la manipulation des peurs et le leitmotiv de la sécurité. Tous les ingrédients sont là pour que la démocratie représentative, la délégation à d'autres du pouvoir de chaque citoyen, combinés au culte de la personnalité qu'offrent les élections, engendrent le monstrueux.




M, le maudit: la crise en Allemagne



L'agonie d'une république


Berlin 1930. Les assassinats en série de petites filles par M provoquent une psychose collective de peur qui développe un esprit de délation dans la ville. L'action de la police gêne bien entendu les truands. Entre l'administration de la République de Weimar et le syndicat du crime, Fritz Lang décrit une classe moyenne bourgeoise avec ses conversations de café, ses bières et cigares, celle-là même qui se situe déjà du côté de l'oppression au nom de la pureté de la race, au sein d'une incroyable mutation de l'histoire.


Conversation animée dans un café



Au-delà de l'étude des pulsions d'un pédophile, le film nous offre une peinture saisissante de la société allemande à la veille de la prise du pouvoir par Hitler, du ministère de l'intérieur et son appareil policier, du monde du crime organisé et d'une opinion publique de plus en plus partisane et vindicative.



Contrôle de police



Nous sommes au cœur d'une crise économique provoquée par l'effondrement boursier aux Etats-Unis, la fermeture des banques, un chômage qui passe de 5 millions à 10 millions en trois ans. Il serait facile de faire une lecture à posteriori de la représentation que nous donne Fritz Lang, connaissant l'évolution des évènements après le tournage du film. Cependant, il convient d'en saluer le côté prémonitoire.




Le pointage des mendiants par les bureaucrates, la marque "M" .sur son pardessus pour stigmatiser le petit bourgeois assassin que l'opinion publique va bientôt condamner, autant d'éléments qui préfigurent l'obsession des nazis pour archiver la totalité de la population et, en premier lieu, les catégories qui doivent "dis-pa-raître", comme dit Schränker. Rien qu'un numéro, que l'on peut effacer du registre d'un camp de concentration.


Fichiers au Ministère de l'intérieur



 La pathologie de M n'est-elle pas d'ailleurs la vision critique de la maladie d'une République de Weimar agonisante, alors que, sous le masque du socialisme, d'autres préparent le terrain pour un "ordre nouveau".

Les nazis interdiront le film en 1933. Un documentaire de propagande raciste de Fritz Hippler, en 1940, en utilisera des extraits, en particulier le discours idéologique que prononce Schränker lorsque M est jugé par la foule, discours paranoïaque traversé par la phobie violente du "germe qu'il faut détruire".


Schränker: dis-pa-raî-tre




Un chef-d'œuvre


Fritz Lang utilise dans son film une dynamique hachée, une discontinuité dans la présentation des personnages et des différents pouvoirs qui dominent la ville, dans un encerclement progressif du psychopathe. Il nous mène ainsi, dans un crescendo émotionnel, à une continuité temporelle qui dévoile la nature de l'assassin lequel ne prend la parole que dans la rencontre finale des différents pouvoirs.



Le jugement populaire de M



Lang eut accès à de nombreux documents sur les méthodes policières de l'époque. Il consulta des psychiatres et des psychanalystes, rencontra des personnages du syndicat du crime et quelques truands jouèrent dans le film. Il s'inspira de faits réels comme "la bourse des mendiants" ou un article de presse où il était fait état des services que le syndicat du crime offrait à la police.

"M le maudit" est l'un des chefs-d'œuvre des débuts du film parlant et un classique du cinéma, et aussi le film que Fritz Lang préfère de toute sa filmographie. Il reste une date dans l'histoire d'une Allemagne qui s'engouffre dans un trou noir. En 1929, Lang rompt ses liens avec la UFA qui a produit "Metropolis" et "Les espions", la firme productrice étant passée aux mains de ceux qui appuient l'arrivée de Hitler au pouvoir. C'est avec la NERO-film que Lang prépare "M, le maudit", son premier film parlant. Il le tourne en six semaines et la sortie en salles a lieu en Avril de 1931.

Lorsque le régime nazi au pouvoir utilise l'affiche du film pour sa campagne antisémite, l'acteur Peter Lorre, de son vrai nom Ladislav Lowenstein et qui incarne M, émigre aux Etats-Unis en compagnie de Bill Wilder en 1933, juste après Fritz Lang. Celui-ci se sépare ainsi de sa femme, Théa von Harbou, qui a participé amplement au scénario avec le réalisateur.


Gustaf Gründgens (Schränker)

L'acteur Gustaf Gründgens (Schränker, chef des truands dans le film) est, à cette époque, célèbre pour son interprétation de Mephisto dans le Faust de Goethe. Plus tard, il sera nommé par le gouvernement nazi. Pour diriger le Grand Théâtre de Berlin en 1933. Istvan Szabó a tourné un film, Méphisto, sur ce personnage.



Au temps des mensonges... Cinéma et démocratie


       
Le cycle de projections et débats que j’ai présenté à Séville sous le titre de cette page s’est appuyé sur trois films des années 1960:

L’attentat d’Yves Boisset (le rapt  à Paris et l’assassinat du politique marocain Ben Barka)
Z de Costa Gavras (l’assassinat en Grèce d’un politique pacifiste à la veille du coup d’état des colonels)
Missing du même Costa Gavras (implication du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique dans le coup d’état de Pinochet au Chili).
Trois autres films ont complété ce cycle:
... il s’agit, avec M le maudit de la vision de Fritz Lang sur la société allemande avant l’arrivée de Hitler au pouvoir
... de la réflexion de John Ford sur l’utilisation de la presse, le mensonge, la légende et le crime dans une démocratie représentative avec L’homme qui tua Liberty Valance
... et la satire de Stanley Kubrick sur la guerre froide avec Docteur Folamour.



Au temps des mensonges, dire la vérité se convertit en un acte révolutionnaire    (Georges Orwell) 

Lors du  premier anniversaire de l’indépendance du Kosovo, un journal, qui ne se situe pas dans la ligne des plus conservateurs, bien que…[1], ecrit que le Kosovo a pas succombé aux violences interethniques… et «que le pays s’est doté de différents attributs de pouvoir qui confirment son nouveau statut : une Constitution, des Forces Armées, un Service d’Intelligence, un Conseil de Sécurité, une Agence chargée des privatisations».
Est-ce ainsi que l'on peut caractériser la création d’un Etat démocratique?
Que s’est-il passé dans le monde pour accepter ces forces institutionnelles comme fondement d’une démocratie ?
Quelle est notre mémoire de l’action de ces forces ?
Des forces qui, pour le simple fait d’avoir permis les crimes du passé, sont celles qui ont le moins d’aptitude pour enquêter sur ceux-ci et les punir ou pour les prévoir dans le futur.

Face à ces questions, le cinéma permet de nous rafraîchir la mémoire.
-De Lumumba –l’assassinat planifié du président du Congo –à La Bataille d’Alger et la leçon magistrale que donne ce film sur le déploiement des troupes françaises face au soulèvement du peuple algérien avec son cortège de tortures et de tueries de civils –leçon que les Etats-Unis d’Amérique ont su retenir pour l’occupation de Bagdad dans les années 2000,
-De Facteur Humain de Otto Preminger –sur l’apartheid et l’implication des gouvernements hollandais et britannique face à l’influence communiste en Afrique du Sud –aux Sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick sur la décision de fusiller des militaires pour l’exemple lors de la Première Guerre Mondiale…
-Sans oublier la représentation que donne le cinéma de l’assassinat de Kennedy ou de Malcom X et de Che Guevarra…
Le cinéma politique, particulièrement le film noir avec sa variante politique, a eu son moment de gloire dans les années 1960 et au début des années 1970, époque conflictuelle plus que toute autre au XX ème siècle, avec les décolonisations, les guerres et les crimes qui les accompagnèrent. Plusieurs films furent tournés dans l’intention  de dénoncer les forces institutionnelles démocratiques, particulièrement en Europe, avec des metteurs en scène et des scénaristes comme Costa Gavras et Jorge Semprun...


Guerre froide au Pentagone: Dr Folamour



DossierAU TEMPS DES MENSONGES
actualisé le 03.05.11
Missing de Costa Gavras
L'homme qui tua Liberty Valance de John Ford
Z de Costa Gavras
M de Fritz Lang
L'attentat de Yves Boisset
Dr Folamour de Stanley Kubrick


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Liens associés
philocours.com
Le Monde Diplomatique
voltairenet.org
afrik.com








[1] Le Monde du 18/02/09

"Z":(Cycle:Au temps des mensonges)

L’assassinat politique, le pouvoir, la corruption et la manipulation s’affrontent à la justice, à la dignité personnelle et à la démocratie. L’autoritarisme lutte contre la liberté de la presse. Dans "Z", le passage de la démocratie au fascisme est vu sous l’angle de la relation entre lo pouvoir militaire et le pouvoir judiciaire.


Affiche du film à Séville
Z, c’est il est vivant en grec. C’est la lettre que les opposants au gouvernement de Grèce marquent sur les murs lorsqu’ils protestent contre l’assassinat du député Gregoris Lambrakis en 1963, un évènement qui inspire l’écrivain Vassilikos et, à partir de son roman, à Costa Gavras qui réalise Z sur un scénario de Jorge Semprun. Le compositeur Mikis Theodorakis, emprisonné en ce  temps des mensonges de la dictature des colonels, offre au réalisateur de choisir la musique qui lui convient dans son répertoire. Les difficultés de production conduiront l’équipe à aller tourner en Algérie et les acteurs, principaux et seconds rôles,  accepteront de diminuer considérablement leur cachet. Lorsque, après Mai 68, le film sort en salles, il reçoit un accueil triomphal et obtient une pluie de prix, sans pour autant être exempt de critiques (Cahiers du cinéma).

PLAN PANORAMIQUE
Le film, tourné après la prise de pouvoir par les colonels en 1967,  situe l’action avant leur coup d’état, au temps des soupçons et des mensonges, dans une ambiance de pression internationale pour l’installation de bases militaires américaines et de l’OTAN en Grèce. 



Un politique pacifiste

 

L'attentat sous le regard impassible des forces de l'ordre

 Le coup d’Etat instaure une Junte militaire qui suspend la Constitution. Un contrecoup des militaires réalistes échoue et oblige le roi Constantin II à l’exil. Le nouveau régime, après une répression sanglante, instaure une République en 1973 et l’instigateur du coup d’Etat, Georges Papadopoulos est désigné comme président. Il est renversé quelques mois plus tard par un autre coup d’Etat. Le régime des colonels essaie de dévier l’attention de cette instabilité par une intervention à Chypre, sans avoir compté avec l’intervention turque dans le Nord de l’île, ce qui déjoue leurs plans. Le gouvernement démissionne et le politique conservateur et monarchique Karamanlis est rappelé de son exil.



Les média et l'armée



La justice et l'armée



La Constitution antérieure de 1952 est rétablie, les prisonniers politiques libérés, les partis politiques légalisés. Des élections sont convoquées et …Karamanlis est élu. Le 8 Décembre 1974, le peuple grec peut enfin voter un référendum qui rétablit le modèle républicain. L’année suivante, les chefs du coup d’Etat sont jugés et les protagonistes sont condamnés à la prison à perpétuité.

REGARD CRITIQUE  
La version originale parle du mouvement d’extrême droite qui organise l’assassinat du politique, interprété par Yves Montand, comme Combattants Royalistes de l’Occident Chrétien (CROC), alors que la version anglaise le traduit par Organisation Chrétienne Monarchique contre le Communisme. Serait-ce là la concession nécessaire pour la consécration du film aux Oscars ?
Homme de la résistance au franquisme et au nazisme, emprisonné pendant deux ans dans le camp de Buchewald, Jorge Semprun signe le scénario du film après avoir collaboré avec Alain Resnais dans La Guerre est finie (sur un exilé communiste espagnol). Il fera ensuite avec Costa Gavras L’aveu et Section Spéciale, puis avec Yves Boisset L’attentat, programmé dans ce cycle, avant de revenir au projet de La Guerre est finie avec une deuxième partie dirigée par Joseph Losey : La route du Sud. Semprun considère le cinéma comme un instrument politique et offre au public un travail qui permet la formation d’une conscience politique. Au moment de sa sortie en salles, Z représente la référence du cinéma politique des années 60 et 70 du 20ème siècle. Bien que le film présente les évènements de façon plus viscérale que rationnelle et réflexive, il accomplit son but pour ce qui est de la dénonciation des injustices et la condamnation internationale de la Junte des colonels. Il fut bien sûr interdit en Grèce jusqu’en 1974 et en Espagne jusqu’en 1976. Il reste un évènement marquant pour toute une génération.


Quelques unes des interdictions pendant "La Grèce des colonels"

Nous restons en Europe pour le prochain film du cycle et remontons dans le temps pour nous situer aux derniers jours de la démocratie en Allemagne avant la montée au pouvoir de Hitler: M le maudit de Fritz Lang


"L'homme qui tua Liberty Valance":(Cycle:Au temps des mensonges)


Affiche du film à Séville

Le mensonge est la base du nouvel Etat, nous dit John Ford. L’épopée de l’Ouest et l’époque glorieuse de Hollywood ont passé, c’est la mort d’une certaine Amérique et de tous les vieux mythes, du règne des acteurs et du cinéma américain. La morale de l’histoire est que pour être un Grand Homme, il ne sert à rien de défendre les grands principes de la Constitution. Il vaut mieux tuer quelqu’un. Nous voilà au temps du Césarisme électronique selon Umberto Eco, ce temps où le culte à la personnalité, lors du vote des citoyens-spectateurs des démocraties représentatives, conduit à demander à l’élu d’avoir l’efficacité propre d’un homme d’affaires et être un chef… de guerre si nécessaire.


QUELQUES DONNÉES
Avec plus de 130 films, entre 1917 et 1966, la carrière de John Ford ressemble plus à celle d’un écrivain ou d’un peintre qu’à celle d’autres metteurs en scène. Bien que d’avantage connu pour ses westerns, il reste l’un des plus grands réalisateurs américains, loué par Eisenstein et bien d’autres pour l’élégance de son art et la discrétion de ses effets cinématographiquesl A une époque où le système de standardisation était si limitatif et lourd, Ford avait le génie de l’utiliser en effectuant le montage dans le temps du tournage, ce qui permettait une réalisation dans un temps record. De 1937 à 1941 il crée une suite de chefs-d’œuvre qui l’amènent à l a gloire et lui permettent de lutter contre le mac-carthysme et la tyrannie des producteurs de Hollywood. Il monte sa propre production, Argosy, comme le firent Fritz Lang ou Frank Capra.
En 1946, Ford s’éloigne de la forme classique du western et déplace de façon subtile les règles habituelles du genre. Il confirme cette tendance avec Liberty Valance en 1961, son dernier film en noir et blanc. Le film s’inspire d’une nouvelle de Dorothy M. Johnson dont l’œuvre a inspiré des films comme Un homme nommé Cheval ou La colline des potences. Il semblerait aussi que le film s’appuie sur le livre de Henry Nash Smith Terres vierges, symboles et mythes de l’Ouest qui parle d’un certain Doniphan (rôle tenu par John Wayne) et d’un Stoddard (James Stewart dans le film) avocat du Massachusetts nommé premier gouverneur de Louisiane par Jefferson.  

ZOOM
Film célèbre pour son double flash-back, Liberty Valance débute, comme Citizen Kane, par une investigation  sur un personnage (ici il s’agit de quelqu’un que peu connaissent). Si les journalistes de Citizen Kane ne connaîtront jamais ce que signifie Rosebud, ici aucun lecteur du journal Shinebone Star ne connaîtra la véritable histoire de l’homme qui tua Liberty Valance. pour le journaliste du village de Shinebone, «nous sommes dans l’ouest et quand la légende devient réalité, il faut imprimer la légende».
Ford nous parle de la distorsion entre les faits eux-mêmes et  l’Histoire telle que la vit la mémoire collective. Dans la démocratie représentative, la légende et les mensonges permettent au politicien ambitieux arriver au pouvoir. Le mensonge est le fondement du nouvel Etat.




PLAN PANORAMIQUE
Liberty Valance est un film crépusculaire, dans un genre qui n’a jamais cessé d’être crépusculaire et de nous parler d’un monde qui disparaissait[1]. Ici, le metteur en scène va situer l’action après la disparition de ce monde pour nous enseigner, en flash-back et avec lucidité, le processus qui y a conduit. Deux époques se retrouvent ainsi en opposition. Bien que Ford brouille les pistes, il y a des indications précises quant au lieu et la date des évènements décrits. Ce pourrait être le Colorado qui choisit d’être un état des USA en 1876. Ford situe les séquences du début et de la fin du film vers 1910, avec un flash-back dans les années 1880, c’est-à-dire l’Ouest du passé avec le passage de la diligence au train, les problèmes d’irrigation, le mythe du jardin ...


Le mythe du jardin



...qui se substitue au mythe du désert qui avait attiré les aventuriers. La seconde époque, 30 ans après, est bien celle du Jardin et de la Légende. Il a fallu sacrifier un certain mode de vie pour que le désert puisse fructifier.


Le mythe du désert: les cactus de  la maison incendiée de Wayne



REGARD CRITIQUE
Le problème politique que pose le film correspond à la volonté des éleveurs du Nord d’une rivière de maintenir la région comme territoire ouvert. Ceux-ci envoient Liberty Valance comme représentant aux élections du Sud, région de cultures.

Wayne, ironique face à l'affiche de Open Range des éleveurs


Open grange, territoire ouvert, est le slogan du parti des éleveurs, et représente une certaine idée de la liberté, celle des grands espaces. L’approche de Ford est, en fait, d’aller au-delà de ce problème politique de l’Ouest qui est celui de l’Etat contre le territoire pour instaurer la loi et l’ordre. Ford pose la question ¿qu’est-ce que la démocratie ? Le droit de vote, l’éducation, la presse sont les thèmes essentiels.
Cependant, il laisse entendre que l’éducation porte en soi une certaine contrainte (ne pas boire, ne pas fumer, savoir mettre les couverts…). Par ailleurs, l’opposition entre violence d’un pays sans loi et l’organisation d’une société selon des lois, met en évidence la liberté de la presse comme condition essentielle pour accéder à cette société. Quant au droit de vote, Stoddart (James Stewart) le propose au village comme le nouveau pouvoir, mais el est en fait l’unique citoyen qui puisse et veuille accéder à un tel pouvoir.



Le vote à Shinbone
 Lorsqu’il apprend la vérité de la bouche de John Wayne,  dans un second flash-back –ce qui lui permet de décharger sa conscience de la responsabilité du crime qui l’a conduit au pouvoir suprême –il n’a aucun scrupule à apparaître comme un justicier aux yeux de l’opinion publique, être celui qui tua Liberty Valance.


L'entrée en politique de Stewart sous l'oeil désabusé de Wayne

Prochain film présenté dans le cadre de ce cycle: la fragilité de la démocratie en Europe avec l'arrivée au pouvoir des colonels en Grèce- Z de Costa Gavras.

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Note

[1] Lire l'étude critique de Jean-Louis Leutrat dans la collection "Synopsis" Nathan ISBN 2-09-190977-7



"Missing" (Cycle:Au temps des mensonges)

Missing est le premier film présenté dans le cadre de ce cycle sur Cinéma et Démocratie. Il représente en effet une situation proche de l'actualité quant à la relation entre les démocraties occidentales (ici les Etats Unis) et les pays que l'on nomme aujourd'hui "émergents" (ici le Chili)... 

Sous l'oeil vigilant de la CIA

11 Septembre… 1973. Au Chili, c’est le coup d’état contre le gouvernement démocratique de Salvador Allende. Nous sommes Au temps des mensonges à l’Ambassade des Etats-Unis. C’est ce qu’un citoyen américain conservateur découvre lorsqu’il se pose la question : «Que fait mon gouvernement en mon nom ,  alors qu’il effectue des recherches sur place après la disparition de son fils.


L’arrivée au pouvoir de Salvador Allende en 1970 ouvre la porte à un régime socialiste à la chilienne sur lequel la Démocratie Chrétienne donne son accord. Cet appui initial va se perdre au fur et à mesure que l’inflation augmente et que se détériore la situation économique à cause d’une mauvaise gestion du gouvernement.
Les groupes qui représentent les extrêmes de l’éventail politique vont développer un climat de violence. A gauche, c’est le MIR –dans le film Sissy Spacek et son compagnon, fils de Jack Lemon, appuient ce mouvement. A droite, le mouvement  Patrie et Liberté, soutenu et financé par des groupes de pression et la CIA qui défend les intérêts stratégiques et économiques des USA, va essayer d’en finir avec le gouvernement de Allende par différentes méthodes. Lorsque la confiance est renouvelée à Allende au cours des élections suivantes, il apparaît clairement que la voie démocratique ne permet le changement souhaité par ces mouvements. La voie militaire est décidée : elle en finit avec le gouvernement socialiste, le Palais présidentiel est bombardé, Allende se suicide.


La mort de Allende


Zoom sur "Missing"
Après le succès de Z (deux oscars en 1969) et utilisant la technique du film d’action, Costa Gavras se convertit en champion du thriller politique dans le cinéma français, un genre dans lequel seul Yves Boisset s’était lancé en France avec L’attentat. Il tourne en 1982 son premier film aux Etats-Unis, Missing, à partit du roman de Thomas Hauser (L’éxécution de Charles Horman : un sacrifice américain). Le choix de Jack Lemon et de Sissy Spacek (Oscar en 1980 pour son interprétation dans Coal miner’s daughter) ouvre la porte à un succès commercial malgré la sortie de Tootsie et Gandhi au même moment.
Le fait que le Secrétaire d’Etat des USA essaie d’apporter un démenti aux évènements décrits dans le film et que, par ailleurs,  son ambassadeur au Chili porte plainte contre la production,  vont provoquer un impact politique favorisé par les  prix que reçoit le film : Palme d’or à Cannes, Oscar du meilleur scénario adapté et nomination pour Jack Lemon.
Costa Gavras pose le problème de l’implication du gouvernement des USA au niveau militaire dans le coup d’Etat chilien et la complicité de son Ambassade à Santiago lors de la répression organisée par les militaires putschistes. Missing s’appuie sur un cas réel, celui de Charlie Horman. Cependant, le metteur en scène développe en parallèle à la disparition de l’américain, le thème de l’élimination systématique de milliers de personnes dans les dictatures du cône sud-américain, l’utilisation de la disparition comme arme de la terreur organisée.


Recherche du corps


Le film noir, dans sa version politique avec sa théorie du complot, vit son âge d’or dans les années 1960 et 70. Avec Missing, Costa Gavras atteint son objectif dans l’emploi de ce genre pour dénoncer l’autorité établie. Il lance, à partir d’une histoire réelle, une attaque qui, par une série de détails, transforme les caractéristiques propres à un complot indéterminé en une vision politique qui cherche à provoquer le débat. Il nous offre aussi le portrait d’un citoyen américain conservateur qui, dans ces années 1970 de complots politiques, de guerre froide et guerre ouverte, va effectuer une transformation personnelle lorsque les circonstances l’amènent à l’affrontement avec la politique menée par son pays.


Affiche du film à Séville


 Les recherches que lance Jack Lemon sur la disparition de son fils se heurtent sans cesse aux mensonges des hauts fonctionnaires américains. Ce qui n’empêche pas la révélation du complot et sa conséquence inévitable : «la fin de l’innocence et la perte de confiance en l’autorité» (Frédric Jameson dans La totalité comme complot).
Nous ne sommes plus devant les héros des films des années 60 que sont le politique pacifiste de Z ou le politique unificateur du tiers-monde dan L’attentat. A l’époque où se tourne Missing, nous sommes entrés dans l’ère du cynisme universel, celle où tout peut être instrumentalisé et où les valeurs, démystifiées, ne sont plus que pur sentimentalisme. Un temps où personne ne peut réellement tirer parti du mensonge. Il n’y a plus de héros. Jack Lemon n’est pas un idéaliste et sa lutte n’est pas celle d’un homme qui détient la vérité sinon celle d’un citoyen qui a perdu son innocence et la confiance en son gouvernement, son armée et sa diplomatie. C’est cette approche au facteur humain qui eut un impact exemplaire sur le public après les évènements traumatisants des années antérieures que furent l’assassinat des Kennedy et Luther King, le Watergate et la disparition de Ben Barka à Paris.

Prochain film du dossier: nous restons aux Etats-Unis pour parler de la naissance de la démocratie dans le lointain Ouest: L'homme qui tua Liberty Valance de John Ford.