"Double Indemnity" (Billy Wilder)

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Assurance sur la mort
Metteur en scène: Billy Wilder
Scénario: Raymond Chandler et Billy Wilder
Musique: Mikiós Rózsa
Photographie: John Seitz 
Acteurs: Barbara Stanwick (Phyllis)
-Fred MacMurray (Walter Neff)
- Edward G.Robinson (Keyes)
Année 1944: Billy Wilder  achève le tournage de Double Indemnity quelques mois avant de se rendre en Allemagne où il est amené à superviser le montage des différentes prises effectuées lors de la libération des camps de concentration (voir dans le Dossier: Cinéastes dans les camps: Death Mills)



Double Indemnity  présente des caractéristiques très particulières dans son genre.  Son esthétique apporte une grande innovation et un modèle pour le FILM NOIR à partir de cette date. Son accueil enthousiaste encore de nos jours le confirme et il est considéré comme un classique. Si The maltese falcon (Le faucon maltais-John Huston-1941, d'après le roman  de Dashiell Hammett) et This gun for hire (Tueurs à gage-Frank Tuttle-1942,  d'après le roman de Graham Greene) ont antérieurement introduit ce style, Double Indemnity  crée une atmosphère qui marque le genre.

La photographie de John Seitz
Nous avons cité John Seitz au sujet de Josef von Sternberg (voir Shanghai Gesture) avec qui il avait travaillé dans Sergeant madden, mais aussi au sujet de This gun for hire cité ci-dessus et bien entendu Sunset Boulevard dans lequel il rencontre à nouveau Billy Wilder après Double indemnity et Lost Weekend un an plus tard. L'utilisation de la lumière filtrant à travers les persiennes est une innovation dans le film noir, mais nous pouvons penser à l'influence de Sternberg sur Seitz, même si le propos est ici moins lyrique.

Billy Wilder raconte que, pour obtenir une atmosphère asphyxiante et sordide de la maison de Phyllis , John Steiz employa une poudre argentée "qui dansait sous la lumière comme dans les peintures des maîtres du passé". C'est la même technique qu'il utilisera plus tard pour la maison de Norma (Gloria Swanson) dans Sunset Boulevard.

«Le soleil passait à travers les persiennes illuminant la poussière» dit la voix off de Neff (Fred MacMurray) tandis qu'il parcourt le salon de Phyllis.   Seitz sait rendre parfaitement  l'atmosphère propre au genre dans les extérieurs  nocturnes mais aussi crée une luminosité saturée pour les extérieurs de jour comme, par exemple, dans la séquence où Jeff arrive à la maison de Phyllis, avec son commentaire en off.

«C'était une de ces maisons de style espagnol à la mode il y a une quinzaine d'années». Quant aux personnages, la photographie  met en évidence la tension chargée de sensualité qui se dégage dans la relation entre Neff et Phyllis. L'image sert de narration: la contreplongée sur la femme nue sous sa serviette de bain, dominant l'homme dans l'escalier…


…la descente de l'escalier et…  le reflet du bracelet qu'elle porte à la cheville, point de départ pour la conquête de Neff.

L'éclairage éclatant du visage ou des cheveux de Phyllis ou, au contraire, son visage dans l'ombre contrastant avec le pull blanc, sont des plans qui définissent en fait le regard chargé de désir de Neff.



 La voix off

«Los Angeles, 16 Juillet 1938. Je n'aime pas le mot "confession"…»

Dès la première séquence, le développement de la narration est prévisible. La voix de Neff enregistrant sa confession alors que saigne sa blessure par balle nous fait pénétrer dans l'essence des récits de "Black Mask", des séries noires et du pur film noir. C'est une introduction qui se retrouve dans D.O.A. de Rudolph Maté ou Sunset Boulevard du même Wilder: à partir de Double Indemnity, nous retrouverons souvent ce type de mise en scène pour décrire l'aspect inéluctable du destin du protagoniste. La voix off enchaine à partir de cette première séquence.  Burt Lancaster dans The Killers (les tueurs-Robert Siodmak-1946),  Orson Welles dans The Lady from Shanghai (1948), Humphrey Bogart dans Dark Passage (Delmer Daves-1947)… et tant d'autres, savent que, quelque soit le chemin qu'ils choisissent, le destin finira par les rattraper. Cette fatalité qui nous est révélée au début du film transforme le sens du suspense: nous savons qu'il y a eu crime, l'assassinat du mari de Phyllis, qu'elle et Neff, l'agent d'assurance, sont complices, que le crime fut parfait du moment que Keyes, le chef de Neff dans la "Pacific all risk insurance" s'est trompé quant à l'identité du criminel malgré sa perspicacité. Même si le film nous réserve de bons moments de suspense,   il est  libéré de l'intrigue au profit d'une extraordinaire peinture sociale de par  la caractérisation des personnages et leurs relations,  le rythme avec lequel se transforment les sentiments des amants complices et surtout l'atmosphère sensuelle et des dialogues fortement suggestifs. Billy Wilder compte avec l'aide de la partition musicale de Miklos Rozsa et, surtout,  celle de Raymond Chandler avec qui il signe le scénario à partir du roman de James Cain publié en 1936 et lui-même inspiré d'un fait divers en 1927. Chandler s'est rendu célèbre pour son premier roman The big sleep en 1939 et que Howard Hawks adaptera (Le grand sommeil- 1946), suivi de La dame du lac que Robert Montgomery tournera en camera subjective en 1947. Les deux œuvres ont Philippe Marlowe comme héros. Avec Assurance sur la mort, Chandler entre à Hollywood: «Nous nous disputions car il n'avait aucune connaissance du cinéma, mais lorsqu'il s'agissait de définir l'atmosphère et de caractériser les dialogues, il était extraordinaire» commente Billy Wilder.
L'atmosphère de James Cain 
…révisée par Chandler est réalisée principalement autour de deux couples: Neff et Phyllis d'une part et Neff et Keyes de l'autre.



Reprenons ici quelques dialogues de cette série noire filmée de Chandler et Wilder:
Cette phrase de Neff dans sa confession enregistrée, caractéristique des héros perdants: «je pensais que tout allait mal se terminer. Je n'entendais pas mes propres pas, Keyes… ils étaient ceux d'un homme mort».
La rencontre de Neff et Phyllis, elle le toisant du haut de l'escalier:
Neff: L'assurance prend fin le 15… Je ne souhaiterais pas que s'abiment les pare-chocs.
Phyl: … Je crois comprendre de quoi vous parlez… Je prenais un bain de soleil…
Neff: Espérons qu'il n'y avait pas de pigeon




Puis, dans la même séquence, après que Phyllis se soit vêtue, ce jeu de mots sur l'assurance de l'auto du mari:



-Mon mari sera ici demain. Je pense que vous désirerez le rencontrer, n'est-ce pas?
-C'est ce que je pensais, mais ça m'est passé. Vous voyez ce que je veux dire…
-Dans cet Etat, il y a une limite de vitesse: 45 milles à l'heure
-… et à quelle vitesse j'allais, mon sieur l'agent?
-Disons… 90
-Disons que…vous descendez de la moto et me filez un PV
-Disons que cette fois c'est juste un avertissement
-Et si ça ne sert pas
-Disons qu'il faudra que je tape dans les jointures
-Disons que je me mets à pleurer sur son épaule
-Disons que vous devriez plutòt essayer celle de mon mari
-Là vous m'avez eu!
Lorsqu'à la fin de l'aventure Phyllis raconte à Neff les détails de son propre plan –partir avec un autre et éliminer Neff:

Neff: Pour une fois je te crois parce que c'est plutôt pourri
Phyl: nous sommes aussi pourris l'un que l'autre
Neff: Oui, mais toi un peu plus que moi
Phyl: je n''ai aimé ni toi ni personne… je suis pourrie et je t'ai utilisé, comme tu l'as dit
Ambiance!
Après tant de cynisme, de lâcheté, de tromperies et de peurs, la dernière séquence nous offre un moment de forte émotion, traité avec sensibilité et sobriété par Wilder. Neff, le criminel fatigué et blessé, voudrait fuir ou mourir. Son chef Keyes qui a toujours compté su Neff pour allumer ses cigares, se penche sur lui pour lui allumer une cigarette
Neff: le type que tu cherchais était trop près
Keyes: encore plus près, Walter
Neff: moi aussi, je t'aime