V- Forces démocratiques


Les pages qui ont pour libellé  "Les règles du jeu", constituent une recherche sur les mécanismes qui caractérisent les marchés financiers, les Etats, le leadership et la souveraineté, ainsi que certaines pistes possibles sur l'action citoyenne. Cette recherche s’est faite sous forme de spersa colligo. C'est-à-dire qu'à partir d'informations disperses (spersa) dans articles, revues, blogs d'économistes… j'effectue un rassemblement(colligo)  avec une volonté de cohérence qui s'appuie essentiellement sur la page "L'empire"(voir colonne ci-contre le lien avec Toni Negri) par laquelle débute ce libellé.

1.-L'apathie collective dans la société du spectacle

«Le spectacle est le Capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image» (Guy Debord).
De nos tours, l'opinion publique constitue un élément fondamental pour la stabilité ou l'instabilité du système. Dans une société médiatique, l'opinion publique se forme jour après jour à partir du bombardement continu des médias. Sera vérité ce que les médias considèrent vérité. Ce qui n'est pas dans la presse n'existe pas, et ce qui existe n'est que selon la forme qu'elle lui donne. Le résultat est la configuration d'un système de manipulation ample et subtile, parfois contradictoire, mais qui, en général, plus qu'informer prétend imposer une réalité à travers des opinions et des valorisations présentées comme des vérités hors de questions.




Il y a ce constat d’abord, celui de l’apathie collective. Par les médias, par les discours, par les images, une uniformité a atteint sa vitesse de pointe, clinquante et trompeuse. Notre présent : un « monde image » qui a pris son essor sur les fondations véreuses de la société de consommation, a détruit toute forme de vie, de lien social. Ce qui reste ? « Une citoyenneté faible », « des sujets consommateurs vaguement rattachés les uns aux autres », qui succombent aux « paniques orchestrées », aux « images-motifs »…

"Il n’existe plus nulle place où le débat sur les vérités qui concernent ceux qui sont là puisse s’affranchir durablement de l’écrasante présence du discours médiatique, et des différentes forces organisées pour le relayer. (…) Le faux sans réplique a achevé de faire disparaître l’opinion publique, qui d’abords s’était trouvé incapable de se faire entendre ; puis très vite par la suite de seulement se former…"

Negri et Hardt, les auteurs d'«Empire»: leur livre se présente comme antiétatique, mais il s'achève sur quoi? «Sur la demande d'un salaire minimum universel et d'une citoyenneté universelle. C'est typiquement la position lacanienne de l'hystérique qui provoque le maître en le bombardant de demandes impossibles!  On ne veut pas détruire l'ennemi: on s'adresse à l'ennemi. On accepte le pouvoir en place. Eh bien, moi, je ne crois pas qu'on puisse sortir du cercle vicieux du capitalisme en s'appuyant sur les forces démocratiques telles qu'elles s'incarnent aujourd'hui».(Zizek)




2.-Face à la "globalisation"

Ce sont les années 1990 qui ont été la véritable explosion de l'utopie. Cette utopie capitaliste libérale qui était censée absurdement résoudre tous les problèmes. Depuis le 11 septembre, au moins on sait que les divisions sont toujours là, et bien là. On commence à se rendre compte que «globalisation», ça veut dire en fait une scission plus forte que jamais, à l'intérieur de chaque pays, entre ceux qui sont globalisés et ceux qui sont exclus. (Zizek)
Les promoteurs du terme et de l'idéologie de la "globalisation" nous ont soumis à une manipulation sémantique: comme le rappelle Vidal-Beneyto dans El Pais du 11 Juillet 2009, les économistes ont commençé en 1949 avec la consécration de l'expression et de la doctrine du sous-développement dans le discours de la deuxième investiture de Truman.

L'aspect central de la mondialisation est l'affirmation des Etats Unis comme seule puissance hégémonique sur les plans militaire, technologique, économique, politique et culturel. Ils apparaissent comme le symbole du capitalisme global contemporain, et à cet égard, sont porteurs d'une logique d'empire et d'un ordre planétaire englobant les situations, problèmes et perspectives des différentes sociétés du monde. Toute manifestation contre la mondialisation en cours est perçue comme une opposition á la puissance régulatrice du système et ses alliés: puisque les contestataires s'en prennent au système mondial en place, à ses régles, à ses institutions et à ses gouvernements légitimement élus, ils s'un prennent à la démocratie.

Le défi aujourd'hui est de récupérer le terrain perdu, populariser les institutions et les pratiques politiques qui ont été exclues du contrôle populaire.

« Il existe une disparité essentielle entre démocratie et marchés : la première constitue une invention humaine, née d’un désir de pacification des relations entre les hommes, les seconds demeurent l’expression spontanée de la manière dont notre espèce réglait ses affaires à l’état sauvage : par la guerre de tous contre tous. Ce qui fait défaut à nos démocraties, n’est-ce pas de n’avoir pas encore étendu le principe démocratique aux domaines de l’économie et de la finance, d’avoir laissé en ces lieux des institutions humaines, des plages de sauvagerie ? » (Jacques Attali)

 


3.-"Activisme" et antimondialisation

La conséquence de la politique néolibérale et du "consensus de Washington" est que «les peuples ont été sommés de se plier à des dispositions légitimées par des institutions internationales présumées au-dessus de la mêlée et, en raison de leur "expertise" technique, porteuses des "seules politiques possibles"» (Bernard Cassen Monde Diplomatique Janvier 2001).

Dès les années 1980, l'impact social des mesures de réajustement économique imposées par le G7 aux pays endettés du tiers-monde conjuguées à la chute des prix des matières premières, provoque des explosions ou des guerres civiles (Algérie…). Après la chute du mur de Berlin, et "le consensus de Washington, les mouvements sociaux en Europe, Corée du sud et Etats Unis vont converger avec les mobilisations contre le G7-G8. Le mouvement de contestation marque le début du passage de l'antimondialisation à l'altermondialisation. La question des institutions internationales est posée et en particulier la légitimité du G8 pour gouverner le monde, instance qui n'a pas empêché les guerres, les désordres financiers et a affaibli le rôle des Nations Unies, plus légitime(?).


Les manifestations contre la mondialisation libérale ont conduit à partir du milieu des années 1990 à des affrontements violents au point que des représentants d'ONG déclaraient avoir perdu leur croyance dans la lutte démocratique dans les pays démocratiques. Après le retrait par l'OMC de l'accord sur investissement (AMI) et l'échec de Seattle qui ont discrédité les principes fondateurs et les pratiques du marché, la contre-attaque consiste à déclarer que les manifestants condamnent les pauvres à la misère: «Le mouvement anti-mondialisation a déjà à son actif un remarquable palmarès de dommages portés précisément aux personnes et aux causes qu'il prétend défendre» dit Paul Krugman! Les groupes de pression "activistes"sont sommés de s'interroger sur leur propre légitimité et sont accusés de désinformation. Dans cette bataille de bonne guerre, le capital international cherche à consolider la légitimité de sa domination avant que celle-ci soit davantage ébranlée.


4.-Microcrédits

L'on peut penser à une finance sociale profitable. La micro finance en est déjà un exemple mais on peut en concevoir d'autres: il faut étudier les dangers sociaux des choix financiers et préciser les populations à défendre avec la même rigueur que le travail des enfants ou les émissions de CO2. Qu'est-ce qu'un prêt ou un placement socialement responsable? Pour qui? Que devrait être la responsabilité de l'actionnaire d'un fonds d'investissement? Quelle est la capacité d'un fonds financier à résister aux bulles? La notion de responsabilité sociale des entreprises qui est lancée dans les années 1970 par des ONG, à laquelle s'ajoute dans les années 1990 l'amélioration des conditions de travail dans les pays émergents, les questions environnementales et le souci du "développement durable", est un projet respectueux de la logique de marché mais qui devrait inclure la lutte contre les dérives spéculatives.


5.-Les réseaux

Un signe de la transformation du capitalisme est son intérêt pour le remplacement des marchés par les réseaux: cette transformation est analysée par Jeremy Rifkin (Monde Diplomatique Juillet 2001). Dans les marchés, les marchandises sont des biens, définissant l'échelle des ressources et des valeurs. fans les réseaux la marchandise est le temps humain: la technologie permet aux réseaux de limiter le coût des transactions qui tend vers 0 (en édition ce sont des millions de copies d'un exemplaire unique).
La propriété reste entre les mains du producteur et les acheteurs se transforment en clients utilisateurs, passant de la propriété à l'accès (ils payent pour une expérience globale dans le temps et non pour des biens physiques dans l'espace). Nous passons du commerce industriel au commerce culturel. L'ancienne économie ne disparaît pas, mais devient la matière première et la fondation du système économique qui se met en place.
Tout comme l'agriculture est devenue la matière première essentielle à l'économie de production, celle-ci devient matière première pour l'économie des services, laquelle devient matière première (ce sont les pays émergents qui s'en chargeront) pour l'économie qui repose sur le flux d'expérience. Il convient de résister à une prééminence du cyberespace et de la globalisation: la géographie, l'échelle locale, la diversité culturelle et tout ce qui draine la culture, qui englobe religion, art, sport, cinéma, jeux, amitié, sphère du loisir où l'on crée de la valeur intrinsèque alors que la sphère du travail crée de la valeur d'usage.
Et Rifkin de conclure: Il doit exister un contre-pouvoir à la globalisation qui permette d'avoir à la fois la globalisation et la culture. Ce contre-pouvoir réside dans la collectivité. Mais quelle est la force qui entraînera cette résistance? L'Etat, qui recule, el les entreprises, qui sont plus globales et travaillent dans le cyberespace, s'impliquent moins dans les collectivités locales. ¿qui comblera ce vide? Trois forces contradictoires s'exercent pour rétablir l'échelle locale, la collectivité et le conditionnement culturel:
-l'économie parallèle el marché noir, voire le crime organisé,

-les groupes fondamentalistes qui croient que la seule culture valable est la leur, et que les autres sont des ennemies,
-la société civile, qui croit aussi à l'échelle locale et la culture, mais elle respecte également la diversité des traditions culturelles qui constituent l'expérience à l'échelle du monde».
6-Universalité: fascination et répulsion

La prétention d'Universalité est la tendance la plus puissante de nôtre époque. On peut douter de si cela est la meilleur solution possible, car la nature humaine ou la raison humaine universelles n'ont pu être démontrées. Ce serait même le contraire: la rationalité se manifeste de diverses manières.
La culture occidentale n'a pas eu d'autre chemin que celui de réduire tout á l'unité, á un patron unique doté idéologiquement d'une valeur universelle et absolue. Mais cela n'a pas jusqu'á présent donné ses preuves sur le plan mondial, si ce n'est l'exploitation d'êtres humains et de la nature, la colonisation intellectuelle, la dégradation de l'environnement, l'exclusion sociale, la faim, la violence…

Enoncer une théorie universelle de quoi que ce soit c'est présupposer l'existence d'une réalité métaphysique qui ne peut être modifiée. Il convient de considérer les Droits Humains comme le fruit de différentes luttes, constantes confrontations politiques de pluralités et antagonismes.
Les difficultés d'approche de l'Universalité sont des constantes irréductibles de la condition humaine: objet d'une fascination/répulsion, les manifestations de rejet à son égard devraient être apprivoisés et parfois acceptés comme condition de survie[1].
La perspective de l'universalité représente pour les humains la suppression de l'altérité, ce qui est un vœu narcissique profond mais suscite l'angoisse d'être semblables et solidaires par les mêmes droits, mais seuls dans un cosmos muet. La sphère unique est en train de se tisser, comme une peau recouvrant la planète: la condamnation éthique des "replis identitaires" dispose désormais d'entités judiciaires(CPI) et policières (ONU) à la mesure de l'idéal d'une Polis globale. La panique de la résorption de l'Autre dans le Soi devrait grandir: voir nos corps absorbés par la pensée rationnelle qui prétend les assembler dans la gestion technologique de la vie; désir et peur d'encadrer le devenir des générations suivantes par une norme fixée d'avance.
Nous mettons en procès une tendance à enfermer le futur dans le présent. Le double collage présent/futur, adulte/enfant offre une perspective étouffante. La vidéosurveillance publique de la vie la plus intime, le spectacle de "Loft story" ou "Big Brother" règle dans l'imaginaire les rapports de référence entre générations. Il fascine et révulse non par excès de liberté ou de "propriété de soi" mais parce qu'il est le progrès inexorable de l´idéal collectif de fusion et ses moyens de s'imposer comme horizon à chacun.









Les organisations humanitaires, cadres virtuels du futur Etat mondial, s'affirment dans la lutte contre les ennemis de l'idéal unitaire. ¿Perçoivent-elles les réactions terrifiées par la montée de l'Universel, entraînant les troubles caractéristiques de l'époque? (dans le passé, en 1880 ou 1929, on assista non à un retour à la raison mais à l'engouffrement collectif dans des mobilisations universalistes comme dans le retour à des négations forcenées de l'universel).

La multipolarité et la diversité culturelle réelles du monde ont complètement débordé le schéma d'une hégémonie unique, mais le rêve impérial peut encore travailler des nostalgiques. D'autant que la redivision stratégique réactionnaire du monde n'est pas incompatible avec l'acharnement dans la doctrine d'une "société monde" animée par la logique marchande. Les difficultés du processus d'occidentalisation du monde montrent que l'universalité réside d'avantage dans la diversité des cultures que dans une identité formelle ou une recherche d'homogénéité. Il conviendrait plutôt de centrer le débat sur un "Universel commun" dans l'espace citoyen à partir de questions comme

-le caractère sacré de la vie qui déborde la notion occidentale des droits humains
-l'égalité de fait entre les genres humains
-la liberté politique comme fondement de la souveraineté
-le droit à la répartition des richesses face à leur concentration aux mains de dominants.



Notes
[1] Le Monde Diplomatique Août 2001
Les pages qui ont pour libellé  "Les règles du jeu", constituent une recherche sur les mécanismes qui caractérisent les marchés financiers, les Etats, le leadership et la souveraineté, ainsi que certaines pistes possibles sur l'action citoyenne. Cette recherche s’est faite sous forme de spersa colligo. C'est-à-dire qu'à partir d'informations disperses (spersa) dans articles, revues, blogs d'économistes… j'effectue un rassemblement(colligo)  avec une volonté de cohérence qui s'appuie essentiellement sur la page "L'empire"(voir colonne ci-contre le lien avec Toni Negri) par laquelle débute ce libellé.