Les organisateurs d'une table ronde sur l'Imagination m'ont proposé de publier dans ce blog sous le libellé « Imagination » les parties essentielles de leur débat à partir de son enregistrement. Cela m'a paru opportun après la publication des"Règles du jeu" (voir libellé). Je n'y ai apporté que des corrections mineures liées au caractère colloquial de cette rencontre. D'autre part, j'y rajoute les liens avec d'autres pages de ce blog lorsque cela m'a paru être un complément d'intérêt. Quelques photos aiguiseront l'imagination…
La nature de l’imagination se forme-t-elle en parallèle aux autres modes de pensée ? L’imagination se développe-t-elle à partir de l’émotion ? Dans cette seconde partie de cette table ronde (voir Imagination-IV) les participants essaient de répondre à ces questions avant d’aborder la relation entre imagination et sens.
L’émotivité est-elle le fondement de l’imagination et la fantaisie?
L’imagination crée-t-elle le sens ?
C : De ce que nous avons dit auparavant, je déduis, pour ma part, qu’il y a, dans le processus de pensée créatrice et imaginative, la nécessité d’un sens.
D : C’est l’imagination qui fournit le sens. Elle est à l’origine de notre aptitude à innover, à créer de nouveaux concepts ou modèles. Plus un individu a vécu d’expériences, plus il a de matériel pour construire et pour créer. À partir des impressions accumulées, l’imagination peut réorganiser les éléments en quelque chose de nouveau et lui donner du sens.
A : Nous avions évoqué antérieurement la nécessité de créer, cette curiosité qui nous pousse à transformer l’espace-temps…
B: Transformer l'espace- temps?
A: L'essentiel de l'activité de notre imagination est ce passage incessant du passé au futur, une reconstruction du temps passé dans un espace qui n'est pas actualisable, une projection dans le futur à partir de l'expérience passée dans un espace-temps qui ne nous appartient pas encore.
D : Cette reconstruction de l’évènement passé dans un espace-temps en cours d’élaboration, cette façon de travailler de notre imagination tendue vers la production de sens, constitue l’essentiel de notre activité mentale. Elle fait l’objet de nouvelles recherches qui s’appuient en partie sur ce que disait Vygotsky. Ce dernier décrit la création d’une production imaginaire comme le résultat de deux opérations mentales : il y a d’abord les impressions vécues, les émotions produites qui vont se traduire, dans l’activité des cartes neurales, par la rétention de certaines parties de ces impressions et une conservation d’images généralement altérées. C’est une opération de dissociation. Puis, il y a un réagencement des images altérées auxquelles s’ajoutent des éléments subjectifs (intuition, sentiments, état physiologique…) ainsi que des données objectives. C’est une opération d’association. La production imaginaire qui en résulte se traduit par une nouvelle idée, la mise en marche d’une action ou… une nouvelle émotion.
A : Mais il y a bien une intention au départ, une force qui nous pousse, à partir de nos sensations, nos impressions et notre état émotionnel, à élaborer ces opérations. Un désir de créer, de comprendre qui agit en nous comme force de la vie utilisant toutes ses ressources, lesquelles sont le résultat de milliers d’années d’apprentissage.
A suivre…
La nature de l’imagination se forme-t-elle en parallèle aux autres modes de pensée ? L’imagination se développe-t-elle à partir de l’émotion ? Dans cette seconde partie de cette table ronde (voir Imagination-IV) les participants essaient de répondre à ces questions avant d’aborder la relation entre imagination et sens.
L’imagination, la raison, la mémoire… se construisent-elles en parallèle ?
C : Il m’est difficile de séparer, lorsque je pense, les différents modes de pensée comme le sont mon imagination, lorsque j’ai une idée, ma mémoire, quand se réveille un souvenir, mon raisonnement sur quoique ce soit, ou encore ma volonté d’action. Je sens que la distinction que nous établissons ne reflète que la prépondérance d’un de ces modes sur les autres, mais qu’en réalité, ceux-ci interfèrent en permanence, sont interdépendants, et qu’il n’y a, en définitive, que le mouvement global d’un corps dans ses émotions et ses pensées.
A : Il est effectivement difficile de départager ces processus. On le voit bien lorsque, par exemple, nous construisons une métaphore. Si je dis : Internet est une immense urbanisation dont les habitants sont des mots et des images qui entrent et sortent des édifices, envahissant les rues dans un trafic incessant où les uns et les autres se croisent et s’échangent…tous mes modes de pensée, rationnels et créatifs, ainsi que la mémoire et le langage sont actifs. C’est aussi vrai de tout ce qui concerne la représentation comme la similitude, l’analogie, l’opposition… dont nous avons parlé antérieurement.
D: En ce qui concerne l’apprentissage de ces processus dans la formation du jeune enfant, Jean Piaget a soutenu que l’imagination constituait l’étape initiale, préopératoire de sa pensée formelle. Selon le psychologue, sa pensée est intuitive et il assimile des expériences, nouvelles pour ses structures mentales préexistantes. chez l’enfant, la réalité se soumet à ses structures mentales naissantes, ce qui se traduit par une distorsion du réel, donc le développement de l’imagination créatrice et le jeu symbolique. C’est l’imitation du réel, le début du langage en tant que système symbolique, l’évocation de réalités fantaisistes qui s’appuient sur des images mentales.
C: Il est vrai que, par le jeu symbolique, les enfants peuvent modifier leurs représentations pour répondre à des besoins : en reconstituant une scène déjà vécue, ils la transforment et libèrent les tensions qu’ont pu créer la demande d’accommodation de la part de ceux qui l’entourent.
D : L’enfant n’a pas une imagination plus riche que l’adulte. C’est plutôt sa non-conformité à la réalité qui fait que sa fantaisie a une activité qui surprend l’adulte. Sa singularité développe des désirs et des intérêts subjectifs qu’il traduit par ses émotions. Si le psychologue Lev Vygotsky partage ce point de vue avec Piaget, il défend par contre l’idée que l’imagination se construit dans une interaction des différents composants de la pensée dont nous avons parlé plus haut. ainsi, selon Vygotsky, la pensée rationnelle et l’imagination se développeraient en parallèle. C’est un développement progressif et ce n’est que lorsque l’individu a la capacité de se dégager des contraintes du réel que l’imagination atteint sa plénitude. C’est lorsque la réalité diffère des besoins de l’enfant que l’imagination se manifeste dans une satisfaction fictive par le « faire semblant » et les jeux symboliques.
A : Il est effectivement difficile de départager ces processus. On le voit bien lorsque, par exemple, nous construisons une métaphore. Si je dis : Internet est une immense urbanisation dont les habitants sont des mots et des images qui entrent et sortent des édifices, envahissant les rues dans un trafic incessant où les uns et les autres se croisent et s’échangent…tous mes modes de pensée, rationnels et créatifs, ainsi que la mémoire et le langage sont actifs. C’est aussi vrai de tout ce qui concerne la représentation comme la similitude, l’analogie, l’opposition… dont nous avons parlé antérieurement.
D: En ce qui concerne l’apprentissage de ces processus dans la formation du jeune enfant, Jean Piaget a soutenu que l’imagination constituait l’étape initiale, préopératoire de sa pensée formelle. Selon le psychologue, sa pensée est intuitive et il assimile des expériences, nouvelles pour ses structures mentales préexistantes. chez l’enfant, la réalité se soumet à ses structures mentales naissantes, ce qui se traduit par une distorsion du réel, donc le développement de l’imagination créatrice et le jeu symbolique. C’est l’imitation du réel, le début du langage en tant que système symbolique, l’évocation de réalités fantaisistes qui s’appuient sur des images mentales.
C: Il est vrai que, par le jeu symbolique, les enfants peuvent modifier leurs représentations pour répondre à des besoins : en reconstituant une scène déjà vécue, ils la transforment et libèrent les tensions qu’ont pu créer la demande d’accommodation de la part de ceux qui l’entourent.
D : L’enfant n’a pas une imagination plus riche que l’adulte. C’est plutôt sa non-conformité à la réalité qui fait que sa fantaisie a une activité qui surprend l’adulte. Sa singularité développe des désirs et des intérêts subjectifs qu’il traduit par ses émotions. Si le psychologue Lev Vygotsky partage ce point de vue avec Piaget, il défend par contre l’idée que l’imagination se construit dans une interaction des différents composants de la pensée dont nous avons parlé plus haut. ainsi, selon Vygotsky, la pensée rationnelle et l’imagination se développeraient en parallèle. C’est un développement progressif et ce n’est que lorsque l’individu a la capacité de se dégager des contraintes du réel que l’imagination atteint sa plénitude. C’est lorsque la réalité diffère des besoins de l’enfant que l’imagination se manifeste dans une satisfaction fictive par le « faire semblant » et les jeux symboliques.
L’émotivité est-elle le fondement de l’imagination et la fantaisie?
C: L'enfance ne connaît que les humains qui l'entourent et ne situe pas encore l’humanité dans l'espace-temps. L'enfant se voit confronter à deux mondes, parfois adverses, le rationnel, la seule production du matériel ou l'irrationnel, le rêve et la fantaisie.
A: vygotsky nous dit, en fait, qu’il n'y a pas nécessairement confrontation, l'imagination recherche la raison pour réaliser ses rêves. N’est-ce pas le cas de tous les directeurs de théâtre ou de cinéma ? Nous rappelions auparavant la phrase de Truffaut sur ce que le cinéma lui permettait de réaliser à partir de la réalité et il ajoutait: «faire un film, c’est améliorer la vie, l’arranger à sa façon, prolonger les jeux de l’enfance…». La mise en scène, comme les jeux symboliques de l’enfant, révèlent les dimensions affectives, corporelles et imaginatives d’un directeur et de son équipe. C’est la curiosité et le plaisir de la créativité, la force des contacts humains, les masques que l’on emploie ou que l’on abat, et parfois la violence de ces contacts…
D : Ce n’est pas par la richesse de ses idées mais par l’émotivité que l’enfant, selon Vygotsky, fonde son monde de fantaisies. Lorsque la réalité diffère des besoins de l’enfant, l’imagination se manifeste. Cependant, si l’imagination est une dimension importante de l’affectivité, la pensée conceptuelle a aussi une composante émotionnelle qui répond à des besoins et des désirs comme le montrent les inventions ou les révolutions idéologiques, par exemple. Vygotsky ajoute que, dés l’adolescence, l’imagination n’est plus seulement sollicitée par l’affectivité, mais va s’enrichir dans la maîtrise des concepts et le développement intellectuel.
La fable
A: vygotsky nous dit, en fait, qu’il n'y a pas nécessairement confrontation, l'imagination recherche la raison pour réaliser ses rêves. N’est-ce pas le cas de tous les directeurs de théâtre ou de cinéma ? Nous rappelions auparavant la phrase de Truffaut sur ce que le cinéma lui permettait de réaliser à partir de la réalité et il ajoutait: «faire un film, c’est améliorer la vie, l’arranger à sa façon, prolonger les jeux de l’enfance…». La mise en scène, comme les jeux symboliques de l’enfant, révèlent les dimensions affectives, corporelles et imaginatives d’un directeur et de son équipe. C’est la curiosité et le plaisir de la créativité, la force des contacts humains, les masques que l’on emploie ou que l’on abat, et parfois la violence de ces contacts…
D : Ce n’est pas par la richesse de ses idées mais par l’émotivité que l’enfant, selon Vygotsky, fonde son monde de fantaisies. Lorsque la réalité diffère des besoins de l’enfant, l’imagination se manifeste. Cependant, si l’imagination est une dimension importante de l’affectivité, la pensée conceptuelle a aussi une composante émotionnelle qui répond à des besoins et des désirs comme le montrent les inventions ou les révolutions idéologiques, par exemple. Vygotsky ajoute que, dés l’adolescence, l’imagination n’est plus seulement sollicitée par l’affectivité, mais va s’enrichir dans la maîtrise des concepts et le développement intellectuel.
La fable
C: la fantaisie me semble être un degré de l'imagination qui se sépare de la réalité et par conséquent, ne cherche pas à retrouver la raison. C’est l’imagination lorsqu’elle invente et produit, c’est-à-dire l’imaginaire dont nous parlions auparavant. Je peux toujours inventer un bestiaire en regardant les nuages, ou divaguer en racontant des évènements passés ou à venir, ou encore idéaliser la réalité qui m'entoure…
Bruno: Prise dans ce sens, non seulement la fantaisie nous sépare de la réalité mais aussi elle nous sépare de nous-mêmes. L'artiste qui décrit un évènement se rapportant à la réalité ne peut éprouver la même tension que lorsqu'il utilise son imagination au service d'une fantaisie. Il y a dans ce dernier cas une tension entre l'artiste et quelque chose de totalement autre qui naît en lui, comme le besoin urgent de tisser une fable. C’est comme s’il s’arrachait aux pesanteurs du réel pour s’envoler dans la fiction. N’est-ce pas d’ailleurs dans la fiction que l'imagination triomphe ?
D: un tel processus n'est-il pas celui que vivent collectivement ceux qui se laissent séduire par la rhétorique de certains leaders, cédant à l'illusion manipulatrice et à la fiction, qui les arrache à leur réalité médiocre et leur fait accepter la fable qui, en fait, va redessiner leur monde au service de nouvelles religions, nouveaux dieux ou d'une falsification politique.
A: Une citation dont l'auteur m'échappe "le soi perpétue l'illusion de lui-même et de façon générale préfère ne remarquer que ce qui corrobore et renforce cette illusion"… Je pense que nous devrions revenir sur cette relation entre l’imagination et la pensée rationnelle. Pour Hume, l’humain est un animal naturellement producteur d’artifices. Il recherche sans cesse de nouveaux mobiles, de nouvelles passions qui dépassent son intérêt immédiat. Selon Hume, rien ne garantit que ce devenir de l’humain ait une finalité rationnelle.
Bruno: Prise dans ce sens, non seulement la fantaisie nous sépare de la réalité mais aussi elle nous sépare de nous-mêmes. L'artiste qui décrit un évènement se rapportant à la réalité ne peut éprouver la même tension que lorsqu'il utilise son imagination au service d'une fantaisie. Il y a dans ce dernier cas une tension entre l'artiste et quelque chose de totalement autre qui naît en lui, comme le besoin urgent de tisser une fable. C’est comme s’il s’arrachait aux pesanteurs du réel pour s’envoler dans la fiction. N’est-ce pas d’ailleurs dans la fiction que l'imagination triomphe ?
D: un tel processus n'est-il pas celui que vivent collectivement ceux qui se laissent séduire par la rhétorique de certains leaders, cédant à l'illusion manipulatrice et à la fiction, qui les arrache à leur réalité médiocre et leur fait accepter la fable qui, en fait, va redessiner leur monde au service de nouvelles religions, nouveaux dieux ou d'une falsification politique.
A: Une citation dont l'auteur m'échappe "le soi perpétue l'illusion de lui-même et de façon générale préfère ne remarquer que ce qui corrobore et renforce cette illusion"… Je pense que nous devrions revenir sur cette relation entre l’imagination et la pensée rationnelle. Pour Hume, l’humain est un animal naturellement producteur d’artifices. Il recherche sans cesse de nouveaux mobiles, de nouvelles passions qui dépassent son intérêt immédiat. Selon Hume, rien ne garantit que ce devenir de l’humain ait une finalité rationnelle.
L’imagination crée-t-elle le sens ?
C : De ce que nous avons dit auparavant, je déduis, pour ma part, qu’il y a, dans le processus de pensée créatrice et imaginative, la nécessité d’un sens.
D : C’est l’imagination qui fournit le sens. Elle est à l’origine de notre aptitude à innover, à créer de nouveaux concepts ou modèles. Plus un individu a vécu d’expériences, plus il a de matériel pour construire et pour créer. À partir des impressions accumulées, l’imagination peut réorganiser les éléments en quelque chose de nouveau et lui donner du sens.
A : Nous avions évoqué antérieurement la nécessité de créer, cette curiosité qui nous pousse à transformer l’espace-temps…
B: Transformer l'espace- temps?
A: L'essentiel de l'activité de notre imagination est ce passage incessant du passé au futur, une reconstruction du temps passé dans un espace qui n'est pas actualisable, une projection dans le futur à partir de l'expérience passée dans un espace-temps qui ne nous appartient pas encore.
D : Cette reconstruction de l’évènement passé dans un espace-temps en cours d’élaboration, cette façon de travailler de notre imagination tendue vers la production de sens, constitue l’essentiel de notre activité mentale. Elle fait l’objet de nouvelles recherches qui s’appuient en partie sur ce que disait Vygotsky. Ce dernier décrit la création d’une production imaginaire comme le résultat de deux opérations mentales : il y a d’abord les impressions vécues, les émotions produites qui vont se traduire, dans l’activité des cartes neurales, par la rétention de certaines parties de ces impressions et une conservation d’images généralement altérées. C’est une opération de dissociation. Puis, il y a un réagencement des images altérées auxquelles s’ajoutent des éléments subjectifs (intuition, sentiments, état physiologique…) ainsi que des données objectives. C’est une opération d’association. La production imaginaire qui en résulte se traduit par une nouvelle idée, la mise en marche d’une action ou… une nouvelle émotion.
A : Mais il y a bien une intention au départ, une force qui nous pousse, à partir de nos sensations, nos impressions et notre état émotionnel, à élaborer ces opérations. Un désir de créer, de comprendre qui agit en nous comme force de la vie utilisant toutes ses ressources, lesquelles sont le résultat de milliers d’années d’apprentissage.
A suivre…