III- Vulnérabilité et sécurisation du pouvoir global

Les pages qui ont pour sous-titre "Les règles du jeu" constituent une recherche sur les mécanismes qui caractérisent les marchés financiers, les Etats, le leadership et la souveraineté, ainsi que certaines pistes possibles sur l'action citoyenne. C'est sous forme de spersa colligo que s'est fait cette recherche, c'est-à-dire qu'à partir d'informations disperses (spersa) dans articles, revues, blogs d'économistes… j'effectue un rassemblement avec une volonté de cohérence qui s'appuie essentiellement sur la page "L'empire" (voir ci-contre "Quelques liens" ).
Les menaces qui ont frappé au cœur du système en 2001 ont été présentées comme ayant emprunté les voies, tant technologiques comme financières, de ce même système dont toute l'ingénierie, aussi opaque que subtile, a été inventée pour contourner la rigueur réglementaire de l'Etat.





L'accent a été mis sur la vulnérabilité de la globalisation et la nécessité de la sécuriser. Plutôt que de situer cette vulnérabilité dans « les distorsions introduites par un mode de développement qui creuse les inégalités, aggrave l'hétérogénéité et les désordres du monde, ravage les aires culturelles non occidentales et criminalise l'économie et les finances» (MD Janvier 2003 p.7), la doctrine présentée est celle de la nécessité d'une globalisation hautement technologique par l'ouverture des frontières et la mise en réseaux . La vulnérabilité de cette globalisation exige la défense farouche d'un environnement aseptisé, et contrôlé par un noyau dur dont les Etats Unis sont le centre et ses alliés la force de mise en œuvre essentielle de cette globalisation.

1.- Les "Etats voyous" et le concept de "souveraineté"

Dans "Voyous" Jacques Derrida se penche sur «l'histoire, la structure et la "logique" du concept de souveraineté. Cette logique ferait apparaître que, à priori, les Etats qui sont en état de faire la guerre aux "rogue States" sont eux-mêmes, dans leur souveraineté la plus légitime, des rogue States abusant de leur pouvoir. Dés qu'il y a souveraineté, il y a abus de pouvoir et rogue State. L'abus est la loi de l'usage, telle est la loi même, telle est la "logique" d'une souveraineté qui ne peut régner que sans partage. Plus précisément, car elle n'y arrive jamais que de façon critique, précaire, instable, la souveraineté ne peut que tendre, pour un temps limité, ¡a régner sans partage. Elle ne peut que tendre à l'hégémonie impériale. User de ce temps, c'est déjà abuser –comme le fait ici même le voyou que donc je suis. Il n'y a donc que des Etats voyous. En puissance ou en acte. L'Etat est voyou…

Avec les deux tours du World Trade center, s'est visiblement effondré tout le dispositif (logique, sémantique, rhétorique, juridique, politique) qui rendait utile et signifiante la dénonciation somme toute rassurante des Etats voyous. Très tôt après l'effondrement de l'URSS… clinton inaugurait en somme la politique de représailles et de sanction contre les Etats voyous en déclarant…je cite: "les Etats-Unis agiront de manière multilatérale si possible, mais de manière unilatérale si nécessaire" chaque fois que leurs intérêts vitaux seraient en jeu, et par intérêts vitaux il entendait décrire, je cite "un accès sans entraves aux marchés-clés, aux sources d'énergie et aux ressources stratégiques" et tout ce qui serait déterminé comme intérêt vital par une juridiction nationale…» (MD janvier 2003).



Et Obama, renchérit dans Le Monde (8 Juillet 2009) au cours du voyage en Russie: «L'arc de l'Histoire montre que les gouvernements qui servent leurs propres peuples survivent et prospèrent…La souveraineté des nations doit être un pilier de l'ordre international…tout ordre mondial qui essaie d'élever une nation ou un groupe de gens au-dessus d'un autre est voué à échouer…Les jours où les empires pouvaient traiter les Etats souverains comme des pièces d'un jeu d'échec sont finis». La multipolarité est l'intention, mais les intérêts de la souveraineté nationale au service de peuple est la condition de survie du gouvernement.





2. - Shaping the world (Façonner le monde)

2.1.-Position hégémonique des EEUU

La puissance des EEUU s'est construite sur cette vulnérabilité dont l'absence de régulation leur a conféré une position hégémonique sur les marchés économiques et financiers, avec les avantages stratégiques qui en découlent. Ils n'ont d'autre choix, pour protéger ce modèle, que de l'étendre au reste du monde. La stratégie choisie a consiste à imposer d'autorité leurs propres normes, d'abord dans le secteur de la communication (information dominance ou superiority) en l'étendant ensuite au domaine de l'économie et de ce qui était naguère exclu du champ de la réglementation: le domaine de la finance.


2.2.-Après le 11 Septembre 2001

La première bataille s'est livrée sur le territoire financier: «Aujourd'hui nous avons lancé une frappe sur les fondations financières du réseau planétaire de la terreur» dira Bush le 23 Septembre, et d'ajouter en direction des banques et institutions financières du monde:«Nous travaillons avec vos gouvernements et leur demanderons de bloquer la capacité des terroristes à accéder à leurs fonds. Si vous refusez de nous aider et de divulguer ls informations dont vous disposez ou de geler les comptes, le département du Trésor dispose désormais de l'autorité nécessaire pour bloquer vos avoirs et vos transactions aux Etats-Unis».

Pour les EEUU il s'agit fort probablement de préserver avant tout leur prééminence. Réticents à la régulation du marché, ils ont même utilisé les paradis fiscaux dans le cadre d'une concurrence déloyale à l'UE: en 2002, la OMC a condamné les EEUU pour leur législation qui permet le dumping fiscal à l'exportation, grâce à l'intermédiaire de filiales dans des paradis fiscaux. Les EEUU contrôlent les flux financiers en dollars qui passent par leur territoire ce qui leur permet de maîtriser la plus grande partie des flux du système financier qui utilise les normes administratives et comptables occidentales. Sur le plan du flux commercial, ils imposent unilatéralement des normes qui refaçonnent les règles des échanges commerciaux (contrôle par les douaniers américains d'une liste de ports dans le monde)…

Sur le plan de la "guerre au terrorisme", les Etats-Unis font pression sur leurs alliés pour «un développement des capacités et partenariats qui convienne pour en finir avec les terroristes et les armes les plus mortifères du monde, impliquer le monde afin de priver de tout appui la terreur et l'extremisme, rétablir les valeurs états-uniennes et faire en sorte que la patrie des Etats-Unis soit plus sûre et plus consistante».[1]


2.3.-Les frontières intelligentes

Selon un article du Monde Diplomatique de Janvier 2003, cette stratégie se résume en une "externalisation" de normes imposées par les Etats Unis sous le nom de "frontières intelligentes", leurs «partenaires et alliés constituant autant d'avant-postes de leur ligne de protection. L'ensemble de ces dispositifs stratégiques est verrouillé par une autre doctrine stratégique dite "long arm juridiction" introduite par l'USA Patriot Act, qui rend les juridictions des Etats-Unis compétentes pour juger les atteintes aux intérêts américains, où qu'elles soient commises dans le monde».

Les Etats Unis bénéficient de 3 facteurs:

-le statut de monnaie de réserve du dollar leur a permis de continuer à vivre confortablement en dépit de déficits budgétaires très élevés.

-Ils ont bénéficié de leur réputation de havre financier pour investisseurs hors du népotisme, de la corruption et l'instabilité

-Ils ont utilisé les principes keynésiens par une attitude pragmatique en période de ralentissement (diminution d'impôts, baisse des taux d'intérêt), garanties de l'Etat dans l'emprunt et crédits d'impôt pour encourager la consommation.


Cependant, le système international est confronté à la question de l'hégémonie américaine: est-ce une nouvelle forme impériale d'hégémonie par le désordre (Alain Joxe: "L'empire du chaos"), ou les Etats Unis ont-ils perdu l'hégémonie économique et idéologique pour s'en tenir à la militaire, symptôme de déclin?


2.4.-Que dit le pape?

En attendant, dans une encyclique publiée avant la réunion d'un G8 en Juillet 2009, le pape souligne «les aspects positifs de la globalisation en termes de développement ou de redistribution des richesses…», estime que «l'engagement en faveur du bien commun peut donner forme d'unité et de paix à la cité des hommes et en faire, en quelque sorte, la préfiguration anticipée de la cité sans frontière de Dieu…» et que le rôle des Etats doit être repensé. Jugeant limités l'ONU et les organismes financiers internationaux, le pape propose la création d'une «autorité politique mondiale» (Le Monde du 8 juillet 2009, qui conclut: «rêve de pape»).


Notes

[1] Allocution du candidat Obama le 1er Août 2007 qui contient l'information sur les décisions en matière de politique antiterroriste de sa future administration (Fernando Reinares dans El País 24 Août 2009)