Pika-Don: Lumière et Bruit

Pika-Don est la première page que nous publions consacrée aux Tabous vus à travers le cinéma durant ces 50 dernières années (voir Libellé Tabou: L’œil de la camera)

¿Pourquoi choisir  "Hiroshima mon amour" pour introduire ce thème ? ¿Est-ce pour cette première séquence de quatre plans reliés par des fondus enchaînés en noir de ces deux corps enlacés ? Une séquence inoubliable pour un spectateur dans l’année 1959 de sa sortie en salle. ¿Ou pour le nom symbolique d’Hiroshima[1] que le film d' Alain Resnais réaffirme ?






La première séquence de "Hiroshima mon amour": «Deux épaules nues. Deux bustes enlacés, Deux corps sans visage. Qui s’étreignent en proie à une frénésie brûlante. Si brûlante que les peaux s’emperlent d’une rosée de sueur, cette frénésie, cette chaleur torréfiante, qui sont celles du désir, sont aussi celles de la douleur, du dépècement, de la mutilation, de la calcination. Sueurs du plaisir et de l’agonie, cendres de l’amour, satisfait et de la mort. Première vérité de l’homme que nous imposent les premières images du film : nous sommes corps»[2]. Des images qui sont «une pensée poétique» nous dit Alain Resnais. Des fondus enchaînés au noir, de la lumière à l’obscurité, qui répètent les effets de la bombe, pika-don l’appèlent les japonais, lumière et bruit… un chaos primitif, un retour aux origines.

Corps, Mythe, Symboles…Tabous
Une femme se souvient de la blessure du passé. Elle fut tondue en 1945 pour avoir maintenu une relation sexuelle avec un soldat allemand pendant l’occupation de la France (photo-Hiroshima...). Une femme vit la blessure du présent, séquelle de la bombe atomique en 1945. Une adaptation théâtrale récente de l'œuvre de Resnais et Duras superpose à l'action sur scène  des passages de "Pluie Noire" de Shohei Imamura tourné 30 ans plus tard.


Ils me tondent avec attention, totalement

Ce remodelage d'un film culte met en évidence la juxtaposition d'interdits à des époques distinctes. Dans "Hiroshima mon amour", la blessure passée, la violation de l'intégrité d'une française qui est tondue pour avoir enfreint le tabou de la relation avec les soldats allemands pendant l'occupation de la France. Dans "Pluie Noire" (voir scènes ci-dessous),  la blessure présente d'une japonaise, rescapée de la bombe, et qui doit cacher son cancer à la société. La force documentaire de ces deux films et, plus encore, leur coïncidence mettent en évidence comment les mythes et symboles, qui structurent tout corps social et se nourrissent  les uns des autres, encorsètent les corps individuels dans l'expression de leur désirs ou de leurs souffrances.  Encore convient-il d'ajouter que "Pluie Noire" lève le tabou sur les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki après plus d'un demi-siècle de silence au Japon.









Vol du Tabou sur un nid de symboles
Les tabous survolent les mythes et les symboles. Tabous ancestraux liés aux traditions archaïques ou à la morale religieuse, avec la connotation de l’inquiétant, l’impur, ne pas toucher, ne pas nommer . Et aussi les interdits circonstanciels, associés aux fragmentations du tissu social que génèrent les idéologies d'une époque. Tous permettent de dénoncer, interdire, marginaliser, justifiant ainsi la barbarie: c’est la métaphore du corps social infecté, du germe qu'il faut détruire si bien dénoncé par Lang dans " M ".

«Nous autres aussi avons nos mythes que nous ne reconnaissons pas comme tels. Mythes de la connaissance historique, des idéologies politiques, du culte de l'art» nous dit Lévi-Strauss dans un commentaire sur son livre "La pensée sauvage". Comme le rappelle Fritz Lang dans "Le Mépris" citant Dante Alighieri: «Apprenez quelle est vôtre origine, vous n'avez pas été faits pour être mais pour connaître la science et la vertu».



Entrevue avec Fritz Lang


Le dossier TABOUS se poursuit avec: Affrontement des corps

Notes
[1] Hiroshima, le 6 Août 1945 à Un avion qui a reçu le baptême d’un pasteur, lequel a prié pour le succés de sa mission, lance sa bombe, Little Boy, sur la ville qui s’étend sur les bords d’une mer intérieure que les japonais appèlent la Méditerranée du Japon.
Le président des Etats-Unis, Harry Truman : «Nous avons joué deux millions de dollars sur le plus sensationnel coup de dès scientifique de l’Histoire –et nous avons gagné». (Dans la collection  Synopsis, étude de Jean-Louis Leutrat).
[2] Jean-Louis Bory dans la revue Artsept- Janvier 1963.
[3] Tabou, ou « Ne pas toucher » :  Mot d’origine polynésienne, illustré par le film de Murnau où la jeune Reri, après la mort d’un chef religieux, est déclarée tabou, c’est-à-dire religieusement sacrée, intouchable, dont la virginité représente le symbole protecteur de toute la communauté.