I- Néolibéralisme

Les pages qui ont pour sous-titre "Les règles du jeuconstituent une recherche sur les mécanismes qui caractérisent les marchés financiers, les Etats, le leadership et la souveraineté, ainsi que certaines pistes possibles sur l'action citoyenne. C'est sous forme de spersa colligo que s'est fait cette recherche, c'est-à-dire qu'à partir d'informations disperses (spersa) dans articles, revues, blogs d'économistes… j'effectue un rassemblement avec une volonté de cohérence qui s'appuie essentiellement sur la page "L'empire" (voir ci-contre "Quelques liens" . "Les régles du jeu" comportent six parties:
I- Néolibéralisme
II- Construction de l'espace publique mondial
III- Vulnérabilité et sécurisation du pouvoir global
IV- Forces aristocratiques
V- Forces démocratiques
VI- Quelques lignes de fuite


1.-Keynes et la conférence de Bretton Woods (1944)

Keynes représente la délégation britannique à Bretton Woods après avoir élaboré une théorie novatrice pendant la dépression de 29 et critiqué le traité de Versailles pour les sommes exorbitantes réclamées à l'Allemagne (qui le conduisent à démissionner de son poste de représentant du ministère des finances britannique lors de la préparation du traité)[1].

Keynes se présente à cette conférence avec l'idée d'un système articulé comme suit:
-ìl permet la coexistence du libre-échange avec une protection sociale généreuse assurée par des institutions internationales.
-Un dispositif d'ajustement des créances imposerait des sanctions aux pays en excédant commercial, et non aux nations en déficit. Ce qui contraint les premiers soit à accepter une discrimination à l'encontre de leurs ventes, soit à élargir leurs marchés intérieurs pour absorber plus d'importations.
-Parallèlement, chaque débiteur a le droit à une ligne de crédit dans un système international de paiement , appuyé sur un mécanisme de compensation et une monnaie de réserve mondiale (le bancor).

Keynes est confronté à l'hégémonie américaine.

Face au problème posé par la Grande Bretagne au bord de la faillite, le trésor américain voulait imposer une étroite dépendance financière. Quant à l'organisation de l'ordre mondial, le système proposé par Keynes était inacceptable pour les Etats-Unis, en particulier l'idée d'un moyen de paiement international qui prenne en compte les intérêts des débiteurs. Compte tenu de la supériorité écrasante de leur industrie manufacturière, ils ne pouvaient envisager que le laisser-faire économique et le rôle du dollar par rapport à l'étalon-or dans le système monétaire international: la convertibilité du dollar est fixée à 35 dollars l'once d'or à Bretton Woods. Pour les Etats-Unis, les dettes contractées doivent être remboursées le lendemain et les finances de l'après-guerre doivent être gérées par les riches. Finalement, les américains acceptent un fonds monétaire international, FMI et une Banque Mondiale, BD, sur des bases plus traditionnelles que ne l'avait espéré Keynes.


2.-La locomotive keynésienne des USA

2.1.-Les 30 glorieuses
Pendant les 30 glorieuses, les USA furent en fait la locomotive keynésienne du reste du monde avec en particulier le programme de Johnson de "Grande Société", sécurité sociale, assurance-maladie, logement, éducation, crédit…ce qui modifie les habitudes de consommation. Avant même la fin des 30 glorieuses, dans le courant des années 70, les banques reprennent le dessus et rapidement il est démontré que Keynes avait vu juste: les pays en développement subissent de plein fouet l'effondrement de leur financement, les contrecoups successifs de l'instabilité spéculative et la crise de la dette. Le pouvoir de créanciers est aussi absolu qu'en 1945 et se révèle économiquement désastreux, comme Keynes l'avait prédit.
L'influence keynésienne s'exerce sans discontinuer sur la politique intérieure des USA:

-attitude pragmatique du Congrès et l'administration en période de ralentissement (diminution des impôts)
-attitude pragmatique de la Fed (baisse des taux sans se soucier de la répercussion sur les prix)
-aides de l'Etat par des garanties d'emprunt et des crédits d'impôts pour encourager la consommation dans le domaine du logement, des soins, des retraites…).

2.2.-Nixon et l'exemple de la surimpression de devises

L'hégémonie du dollar comme réserve et devise de référence dans les transactions commerciales et financières internationales va donner un coup au système financier en 1971 lorsque, unilatéralement, l'Administration Nixon abandonne le compromis de convertibilité du dollar en or, ce qui marque la fin du régime d'échange né à Bretton Woods. C'est le début de la libre flottaison des types de change des principales monnaies et l'amplification des risques. Du fait que le dollar est encore à ce jour le principal actif de réserve de la planète, le monde dépend des émissions monétaires des Etats-Unis, lesquels ont tendance à creuser le déficit de ses comptes courants (déficit structurel), ce qui entraîne en cas de crise la réapparition du même phénomène de surimpression du dollar.

De manière générale, les déficits budgétaires des pays présentant des déficits structurels de leurs comptes courants sont plus importants que ceux des pays dont les comptes courants sont excédentaires. Cela tient à ce que les seconds peuvent importer une part significative de la relance injectée par les premiers. Une hausse importante de la dette publique en cas de crise, comme c'est le cas aux EEUU en 2009, peut déclancher une nouvelle crise par ce que les marchés considèrent comme une dette budgétaire excessive dans un pays qui présente un fort déficit structurel de ses comptes courants. Le système international peur alors connaître un moment critique.





3.- Le néolibéralisme

A partir de 1975, avec le choc pétrolier, le néolibéralisme remplace le modèle keynésien. En 79 la Fed décide d'augmenter brusquement les taux d'intérêt, en 80 la lutte contre l'inflation devient la priorité au détriment de l'emploi et de la dette du tiers-monde. La phase libérale de la mondialisation est commencée. Et là il convient de distinguer le libéralisme politique (qui est constitutif des droits de l'homme et des libertés individuelles) du libéralisme économique pour qui la main invisible du marché est l'antidote absolu à l'ancien régime étatiste planificateur. Et à ce jour il apparaît clairement que l'administration Obama croit en la magie du marché et en la dextérité de ses magiciens (Paul Krugman).

3.1.- Le G8

Face au choc pétrolier, la récession économique des années 74-75, et le conflit sur le rôle du dollar dans le système financier, il est décidé une coopération entre les démocraties industrielles: c'est en fait un regroupement des actionnaires majoritaires de l'économie mondiale que sont les dirigeants des pays dominants. Leur décision d'intensifier leur coopération au sein de toutes les institutions internationales leur permet d'avoir des relais dans toutes ces institutions et un accès permanent à l'ensemble des médias. Ce club d'actionnaires, élargi à 20 en 2008, forme une institution mondiale permanente.

Le G8 n'est pas une instance supérieure de pouvoir, il ne peut s'imposer aux États ni au pouvoir économique global. Mais il définit en fait une régulation politique, une vision stratégique à long terme et une adaptation des cadres institutionnels.

Le G8 s'appuie sur le FMI et la Banque Mondiale où il dispose de la majorité du capital. Il construit ainsi le cadre institutionnel de la mondialisation néolibérale, avec l'OMC comme élément déterminant dont les "mercenaires" selon Jean Ziegler (MD Octobre 2002) veillent à la circulation des flux commerciaux. Pour Bernard Cassen (MD Décembre 2001) bien que les porte-parole de l'OMC affirment qu'elle incarne un système commercial multilatéral fondé sur des règles, ils ne nous disent pas que ces règles ont été élaborées et fonctionnent au seul service des grandes sociétés multinationales. Ils ne s'étendent pas sur le credo de ce système prétendument multilatéral: privatisations, déréglementation et liberté absolue des mouvements de capitaux, destruction des Etats-providence, des services publiques…c'est bien un unilatéralisme forcené qui caractérise l'OMC. «Tous ceux qui sont contre le libre-échange sont contre les pauvres» selon Bush II.

La BD vue par Jean Ziegler (dans le Monde Diplomatique de Octobre 2002)

La BD et le FMI s'occupent des flux financiers. La BD est officiellement le "World Bank Group" et comprend la BIRD pour la reconstruction et le développement, l'Association pour le développement, la Compagnie financière internationale, l'Agence multilatérale pour la garantie des investissements et le Centre international pour la gestion des conflits relatifs aux investissements.

McNamara, ancien ministre de Kennedy et Johnson, dirigea la BD pendant ses années d'or de 70 levant sur les marchés nationaux de capitaux 100milliards d'emprunt dont une partie en Suisse dans les banques qui abritent les capitaux en fuite des nababs et dictateurs d'Afrique, Asie et Amérique Latine.

Selon Ziegler, entre la BD et Wall Street l'alliance est stratégique. La BD a sauvé certains instituts financiers engagés ici ou là dans des opérations de spéculation. Sa charte exclut toute conditionnalité politique, mais dans sa pratique ses critères bancaires sont néanmoins surdéterminés par un concept totalisant d'origine non bancaire et idéologique: le consensus de Washington. Malgré de cuisants échecs, désastreux pour le tiers-monde, les dirigeants multiplient les théories justificatrices, récupèrent les discours contestataires (en particulier écologiques avec la notion de développement durable) et parviennent toujours à maintenir le cap fixé par le consensus de Washington.

3.2.- Le "consensus" de Washington

L'idéologie néolibérale est devenue «hégémonique aux EEUU d'abord, dans le reste du monde ensuite, au prix d'un effort systématique pour mobiliser des fonds et investir l'université et les médias. Cette idéologie qui répondait aux intérêts de la finance américaine désireuse de lever tous les obstacles à la libéralisation planétaire des mouvements de capitaux, a ensuite été imposée aux très nombreux pays "bénéficiaires" des prêts et crédits des institutions de Bretton Woods par le carcan du "consensus de Washington"» (Bernard Cassen- Le Monde Diplomatique Janvier 2001).

La phase néolibérale de la mondialisation va se faire bien entendu grâce à un rôle actif du club (G7 à cette époque avant l'incorporation de la Russie) et sur la base du credo "stabilisation, libéralisation, privatisation". C'est l'ère de Reagan et Thatcher où selon la formule de Friedrich Hayek«la déroute de l'Etat coupe la route à la servitude» et pour Milton Friedman «la libre circulation des capitaux associée à la fluctuation des changes, assurerait la stabilité des économies» alors que pour Fukuyama «c'est le règne du calcul économique et de la quête infinie des solutions techniques». Ce credo sera formalisé en 1990 par le "consensus de Washington":

-discipline fiscale(baisse des prélèvements fiscaux et équilibre budgétaire)
-libéralisation financière (taux fixés par les marchés de capitaux)
-libéralisation commerciale (suppression des protections douanières)
-ouverture des économies à l'investissement direct
-privatisation de l'ensemble des entreprises
-dérégulation (élimination de tous les obstacles à la concurrence)
-protection totale des droits de propriété intellectuelle des multinationales

Sous prétexte de créer un "marché des capitaux", il faut laisser les coudées franches aux opérateurs et permettre aux capitaux de circuler librement, ce qui entraîne une croissance des marchés financiers au prix de l'augmentation de la délinquance financière et de la déstabilisation des fondements de l'économie sous-jacente[2].

La liberté dont a joui la planète finance a permis de constater qu'une activité économique laissée libre de s'autoréguler tend à collectiviser les pertes et à individualiser les profits. Les agents de change jouent avec des capitaux qui ne leur appartiennent pas et ne sont jamais comptables des pertes que leurs transactions engendrent, «Cettehyperindividualisation des comportements, cette perte de vue de l'intérêt général est une caractéristique propre aux organisations mafieuses» (Le Monde du 11/02/09).

Notes


[1] Le Monde Diplomatique Mai 2003- article de James K.Galbraith

[2] Par exemple, dans le cas des banques d'affaires anglo-saxonnes, les départements de "fusion et acquisition" déterminent le bénéfice pour l'actionnaire d'une opération de fusion entre entreprises. Dans un premier temps, ce mécanisme est le fondement des opérations financières des entreprises concernées, au détriment de toute logique économique et industrielle. L'obligation de favoriser l'intérêt des actionnaires porte le nom de "corporate governance" (bonne gouvernance d'entreprise). Le produit défini par les départements de "fusion et acquisition" vont se propager dans un second temps, par l'intermédiaire des dirigeants des entreprises, à tous les niveaux de décision des société cotisées en Bourse, grâce au développement des nouvelles technologies de l'information et la communication (Monde Diplomatique Avril 2009). Dans El País du 31 Janvier 2009, Vidal-Beneyto dénonce «une architecture financière qui a élaboré des dispositifs techniques, aussi solides que subtils, dont la légalité, dont la protection juridique émane de la seule institution qui peut l'assurer, c'est-à-dire l'Etat. Ce qui les rend difficilement contestables».