IV- Forces aristocratiques


Les pages qui ont pour libellé  "Les règles du jeu", constituent une recherche sur les mécanismes qui caractérisent les marchés financiers, les Etats, le leadership et la souveraineté, ainsi que certaines pistes possibles sur l'action citoyenne. Cette recherche s’est faite sous forme de spersa colligo. C'est-à-dire qu'à partir d'informations disperses (spersa) dans articles, revues, blogs d'économistes… j'effectue un rassemblement(colligo)  avec une volonté de cohérence qui s'appuie essentiellement sur la page "L'empire"(voir colonne ci-contre le lien avec Toni Negri) par laquelle débute ce libellé.

1.-L'aristocratie financière
«Il existe une tendance innée chez l’élite à idolâtrer les hommes qui font beaucoup d’argent, et à en déduire qu’ils savent ce qu’ils font» (Paul Krugman).
1.a)-Bref historique (Le Monde 11/05/09)

C'est parce qu'il éprouvait le besoin d'avoir une banque à sa disposition pour financer ses guerres que le 18 Janvier 1800, le premier consul Bonaparte créa la Banque de France (d'abord privée et dont il était actionnaire) à qui fut confié le privilège exclusif d'émettre des billets. Seules la Suède, depuis 1656, et l'Angleterre depuis 1694 disposaient alors d'une Banque Centrale. C'est en 1913 que la Réserve Fédérale des Etats Unis vit le jour. La décision fut prise à la suite de la crise bancaire de 1907, dite "panique des banquiers" au cours de laquelle le système financier américain ne fut sauvé du naufrage que grâce à l'intervention du banquier John Pierpont Morgan, qui joua le rôle de préteur en dernier ressort. Jusqu'alors Washington s'était toujours opposé à la création d'un Institut d'émission unique. Le plus farouche adversaire en avait été Andrew jackson (1829-1837), qui avait mis plusieurs reprises son veto à la création d'une banque centrale, prétextant que «le Grand Satan surgit d'une trop grande concentration de pouvoirs dans les mains de quelques hommes». Un an avant la création de la Fed, en 1912, ce sont plus de 7300 banques qui assuraient l'émission de billets aux EEUU.

La création de la Fed marqua la fin du débat doctrinal qui avait divisé au XIXe siècle les partisans de la banque centrale comme monopole public d'émission et ceux de la concurrence en matière d'émission monétaire, ces derniers mettant en avant la réussite saluée par Adam Smith, puis par Karl Marx, du système monétaire écossais qui fonctionna sans crise de 1700 jusqu'au milieu du XIXe siècle.

1.b)-Hégémonie du dollar

«Il fut un temps, lorsque les Etats-Unis produisaient la moitié de la production mondial total, où il était prudent de se focaliser sur son rôle de locomotive au secours des économies déprimées. Mais il y longtemps que tout cela a pris fin à jamais» (Paul Samuelson dans El País du 30 Août 2009). Mais revenons en arrière…

En 1873, la faillite d'une banque US provoqua la panique financière qui se propagea à l'Europe et se transforma en une crise du crédit. Ceci marqua le déclin de l'Empire britannique et le début de l'hégémonie du dollar. Les britanniques ne pouvaient entrer en compétition avec le coût de la main d'œuvre états-unienne ni avec sa poussée. Cependant, il fallut attendre plusieurs années encore et la crise de 1929 pour que les Etats-Unis se confortent comme leader, et la seconde guerre mondiale pour que le dollar domine l'économie mondiale.
Actuellement cinq devises agissent comme réserves internationales: dollar, euro, yen, livre sterling, franc suisse. Les 2/3 de ces réserves sont en dollars. La Chine qui dispose d'une réserve en dollars équivalente au PIB d'un pays comme Espagne, propose la création d'une super monnaie contrôlée par le FMI. Cependant l'ensemble des pays du BRIC dépendent de leurs exportations et, pour cela, ils doivent maintenir leur monnaie en dévaluation pour une meilleure compétition, ce qui les conduit à accumuler d'énormes réserves de devises étrangères pour maintenir le taux de change. La super monnaie tardera encore longtemps pour voir le jour et en attendant, le seul choix est d'acheter des bons du Trésor Etats-unien. Ce qui laisse le dollar sans concurrence. La Chine reste liée et tout mouvement de sa part contre le dollar se retournerait contre elle, car cela appauvrirait ses réserves. La politique économique des Etats-Unis semble plus facile à corriger que celle de la zone euro en cas de crise, et même si il est relativement moins fort, le dollar peut se maintenir encore longtemps en position principale comme devise de réserve.


Pour Lula (Le Monde 8 Juillet 2009): «Le dollar sera encore important pendant des décennies. Son remplacement dans le commerce mondial n'est pas simple. Mais le Brésil croit à la possibilité de nouvelles relations commerciales sans subordination au dollar. Nos échanges avec l'Argentine peuvent être réalisés dans nos monnaies respectives… Le monde a découvert …que la dépendance à l'égard d'une seule monnaie n'est pas une bonne affaire»






1.c)-Fnance (de fides = foi, confiance): investissement et emprunt

La rationalisation, qui passe par la transformation du "logos" en "ratio" de part l'action rationnelle d'une société technologique, substitue à la question de la croyance celle de la confiance. Et c'est pourquoi le dollar exprime tout de la pensée de l'homme politique B. Franklin par cet énoncé inscrit sur le billet vert: "In God we trust", la croyance étant devenue, selon les sermons de Franklin, légitimement calculable, ce qui est sa transformation en ce que l'on appellera dès lors la confiance. Weber: «le système capitaliste a besoin de ce dévouement á la vocation á gagner de l'argent» et nécessite «une confiance absolue en ses innovations».







1.d)-Les Banques Centrales et les crises
«Chaque crise est sui generis en raison du progrès technologique intervenu entre-temps et le fait que nous soyons sortis indemnes de chacune des précédentes ne nous dit rien du degré de destruction et de chaos qui aura été atteint quand celle-ci entrera dans sa phase finale … Nous savons à quel point ils sont aujourd’hui enfermés dans des impasses théoriques, conséquence sans doute de la servilité dont ils ont fait montre vis-à-vis de ceux qui se sont présentés comme les commanditaires de leur savoir et les ont généreusement rétribués pour mener la « science » économique dans telle direction qui servait leurs propres intérêts plutôt que dans telle autre qui pourrait nous aider aujourd’hui» (Jacques Attali).


La façon dont nous racontons l’histoire de l’économie affecte nos attentes et nos espoirs en la matière. Ces vingt-cinq dernières années ont été marquées par une montée en flèche de la réputation attribuée aux banquiers centraux. Cette hausse se base sur un récit de l’histoire économique récente qui reflète les vues des vainqueurs.

L’augmentation du crédit accordé aux banquiers centraux repose sur un phénomène que les économistes ont nommé la « Grande Modération » (Thomas Palley)[1]. Cette appellation désigne un phénomène de lissage des cycles économiques intervenu au cours des deux dernières décennies, durant lesquelles les phases d’expansion sont devenues plus longues, les récessions plus courtes, et où l’inflation a diminué. De nombreux économistes attribuent ce lissage à l’application par les banques centrales de meilleures politiques monétaires, d’où le gain en réputation des banquiers centraux. Cette explication est très populaire chez les économistes, car elle salue implicitement la profession en attribuant cette amélioration de la politique monétaire aux progrès de la science économique et à l’influence accrue exercée par les économistes sur les banques centrales.


En ce qui concerne l’allongement des phases d’expansion économique, la grande modération a été marquée par l’inflation du prix des actifs et par l’innovation financière qui ont contribué au financement des dépenses de consommation. La hausse du prix des actifs a fourni aux emprunteurs des garanties accrues pour solliciter des prêts gagés sur leurs biens, tandis que l’innovation financière a facilité l’accès au crédit et augmenté le volume offert. Ensemble, ces deux phénomènes ont créé une dynamique dans laquelle la hausse des prix des actifs a soutenu une augmentation des dépenses financées à crédit, ce qui a alimenté des phases d’expansion plus longues. Cette dynamique est illustrée par la bulle immobilière de ces huit dernières années.


La grande modération est le résultat d’un abandon des politiques de plein emploi, associée à des facteurs transitoires qui sont la désinflation, l’inflation des prix des actifs, et l’augmentation de la consommation à crédit. cette grande modération pourrait sans doute connaître une fin pénible. Bien que le retour d’une inflation forte soit peu probable, les récessions seront vraisemblablement plus marquées et plus longues



Attaquées par intervalles réguliers par les politiques, les économistes ou les partenaires sociaux (entreprises ou syndicats), les banques centrales se voient attribué le rôle de sauveur en cas de crise (les médias les présentent comme ayant empêché l'explosion du système financier mondial en fin 2008, ayant rétabli la confiance sur le marché interbancaire en 2009, lutté efficacement contre les forces déflationnistes par la baisse des taux d'intérêt. Alors que la même baisse des taux et d'argent pratiquement gratuit les années précédentes ont été la cause principale de la débauche de crédits, et que les banques centrales ont laissé gonfler sans réagir, des bulles de crédit et de l'immobilier dans les zones où elles sont censées assurer la stabilité financière. La crise des subprimes représente le grand échec des politiques monétaires bien plus que la crise du capitalisme ou de la réglementation des finances internationales qui, elles, sont un échec systémique.

Les Banques Centrales et en particulier la Fed, ont toujours cherché à assurer leur indépendance face aux pouvoirs politiques pour gagner en crédibilité. En décidant d'acheter en masse les emprunts du Trésor, donc en choisissant de créer de la monnaie pour fiancer directement les déficits publics, elles risquent de se retrouver asservies aux budgets des Etats.


Le Monde du 30 Septembre 2009: Aux Etats Unis, une doctrine politico-économique minoritaire, mais reconnue et légitime prône le primat de la liberté individuelle sur toute contrainte collective en particulier étatique. Pour le retour á l'étalon-or ou autre, sauf une monnaie sous la coupe d'une institution non représentative qui peut faire tourner la planche á billets comme bon lui semble, les partisans de cette doctrine( Clint Eastwood, Rupert Murdoch…) n'ont jamais admis que la Fed, non démocratique car non élue, décide de la politique monétaire de leur pays. Le renforcement de la Fed par le G20 quant á son rôle de "superviseur" amène de plus en plus d'élus à demander un Audit de la Fed, alors que nombre de délibérations ou des actes de la Fed sont classifiés, perspective qui terrorise les milieux financiers, donc le gouvernement fédéral qui ne veut pas porter tort aux investisseurs.

La gestion de la monnaie est redevenue politique avec les risques de manipulation qui vont avec, mais aussi de perte de légitimité et de confiance chez ceux qui l'utilisent et la détiennent, une sorte de grand bond monétaire en arrière. Les Etats, lors des crises financières, s'autorisent un déficit budgétaire et laissent filer leur dette en priant que la planche à billets relance la machine économique.

A ce jour, les adeptes de la concurrence privée mettent en avant l'avantage de monnaies privées (tel le e-gold numérique) sur celles gérées directement par des Etats virtuellement en faillite et réclament la suppression des banques centrales.



1.e)-La déflation (Le Monde 01/06/09)

L'avantage de l'inflation est d'avoir le pouvoir de rogner le stock de dettes. Elle n'est pas la panacée car elle sanctionne les consommateurs du monde entier, et en premier lieu ceux des pays pauvres. C'est le prix à payer pour compenser les excès des pays riches.

Et même si menace la récession(diminution continue du PIB), l'important est de ne pas rentrer en déflation, car dans ce cas:

-baisse de la consommation et des investissements, car on attend que les prix baissent. Ce qui entraîne le chômage.

-les Banques centrales, qui cherchent à maintenir un taux d'inflation bas par leur action sur les taux d'intérêt, n'ont plus de marge de manœuvre (taux 0%)
-les Etats, les entreprises et les ménages endettés, se retrouvent avec un fardeau plus lourd car leur dette ne diminue pas (il faut savoir que l'Etat recherche un taux d'inflation suffisamment fort pour alléger le poids de sa dette).

La déflation se traduit donc par une baisse des taux d’intérêt, en particulier durant les phases de ralentissement de l’activité économique. Ces taux bas ont autorisé des vagues successives de refinancement sur les prêts hypothécaires et ont également réduit le coût des nouveaux emprunts. Cela a contribué à améliorer les finances des ménages et a soutenu les dépenses de consommation, ce qui a permis de raccourcir et de minimiser les phases de récession.


Pour restaurer la confiance des acteurs économiques, particuliers et chefs d'entreprise, il convient d'inciter les banques à leur accorder les crédits demandés. Encore faut-il que les agents économiques n'aient pas le sentiment que l'Etat augmentera demain les impôts. or l'endettement public, s'il est fort (et c'est toujours le cas en cas de récession ou de risque de déflation), fait que les pouvoirs politiques ne sont pas crus lorsqu'ils affirment qu'ils n'accroîtront pas la pression fiscale ou qu'ils jurent que l'inflation ne sera pas la porte de sortie de la situation. Le manque de confiance c'est redouter la déflation demain ou l'inflation après-demain. Pour financer ses déficits, l'Etat emprunte déjà sur les marchés financiers en émettant (en général par l'intermédiaire d'une Agence du Trésor) des titres (obligations à 2, 5, 10 ou 30 ans) souscrits par des investisseurs institutionnels. Ces opérations sont plébiscitées car en temps de crise, les investisseurs privilégient les titres d'Etat, jugés moins risqués que d'autres placements. Mais l'appétit de ces investisseurs peut s'amoindrir. L'alternative est d'attirer les épargnants privés. Encore faut-il que l'opération soit attractive (taux d'intérêt élevé par exemple), ce qui la rend coûteuse et apparaît comme un plébiscite de la politique du pouvoir en place.

Strauss Kahn, directeur du FMI: Quand la Fed rachète des bons du Trésor, ne marche-t-elle pas sur la tête ?«Ce n'est effectivement pas d'une orthodoxie absolue. Et dans d'autres circonstances, dans d'autres pays, tous les régulateurs auraient dit que c'était la première chose à éviter. Mais nous ne sommes pas dans des circonstances normales, et les Etats-Unis ne sont pas un acteur anodin du système. Tous les moyens sont bons pour apporter des liquidités à un marché qui en a besoin. La moins mauvaise image que j'ai trouvée pour décrire la situation présente, c'est celle-ci : il y a un incendie, on arrive avec de grosses lances, et on fait des dégâts des eaux. C'est regrettable, mais il faut absolument éteindre l'incendie».

1.f)-L'opacité et la régulation
La libre circulation des capitaux et des services financiers n'a pas été accompagnée de la protection effective et homogène des épargnants européens. Une part importante des marchés financiers opère en toute opacité, surtout en ce qui concerne les produits dérivés échangés sur les marchés de gré à gré ou la multiplication de plates-formes de négociation sur les actions.

Le rôle de la régulation est de protéger les petits épargnants et d'assurer la sécurité des investisseurs: sans protection pas de sécurité, sans sécurité pas de confiance, sans confiance pas de reprise. Redresser une économie pendant une crise suppose un financement sain et à long terme des entreprises et des ménages. Sans marchés organisés, sans transparence des prix, pas de financement de long terme, pas de redressement. Cela signifie qu'une ou des autorités de supervision harmonisent les autorités nationales pour que celles-ci ne soient pas tentées de capter l'activité de leur place boursière par une course au moins disant.

1.g)-La cupidité
«Linterdiction des paris sur l’évolution d’un prix devrait être imposée ? Une telle prohibition maintient en place l’ensemble des marchés financiers existant aujourd’hui mais en interdit l’accès aux spéculateurs pour le réserver aux seuls agents économiques légitimes : ceux à qui ils procurent une fonction d’assurance contre des aléas inévitables, climatiques par exemple» (Jacques Attali).

Le problème est que les opérateurs ont tendance à maintenir leurs pratiques opaques rendant difficile toute supervision, ou en parvenant à acheter leur complicité ("dark pools"). Outre l'opacité, la cupidité est un autre facteur de crise car il s'agit de bien payer ceux qui génèrent le chiffre d'affaires par des rétributions et des bonus attirants.

L'argent, qui était un moyen d'émancipation, est devenu une religion. La cupidité, stimulant individuel, est devenue un véritable "système de gouvernance" et «le fondement institutionnalisé d'un enrichissement sans cause réelle et sans limite sérieuse» (Charles-Henri Filippi: L'Argent sans maître ed. Descartes et Cie). Sans mesures contraignantes de régulation, ceux qui ont le pouvoir de s'enrichir le font sans attendre, au risque de précipiter la cirse suivante. Comme le dit Paul Krugman (El País 9Mai2009), même si la Fed et le gouvernement sont décidés à imposer une régulation financière plus stricte et une supervision, cela ne change pas le futur de Wall Street pour ses habitués qui n'acceptent pas l'idée que le système puisse tenir un défaut inhérent et se tranquillisent en pensant qu'ils peuvent continuer leur petit jeu. De toutes façons, les gouvernements font aussi entendre, lors d'une crise, que lorsque les inverseurs se tranquillisent, le négoce des finances peuvent reprendre comme avant. Au-delà des règles de supervision il y a la vision subjacente qui consiste à maintenir le système financier tel quel si ce n'est plus ou moins domestiqué. «Les gouvernements et Banques Centrales croient en la magie du marché financier» dit Krugman.



Lors d'un boom économique, les centres financiers et places boursières, comme par exemple la City, sont de véritables pompes à fric: les bilans de gestion de patrimoines donne le vertige et cette gestion alimente, par des profits faciles, les caisses des établissements financiers. Motivés par l'appât du gain, nombre de gestionnaires privilégient le chiffre d'affaires et la course à la taille au détriment du service 'a la clientèle. Les meilleurs gestionnaires désertent les grandes institutions de gestion au profit des hedge funds (fonds à risque, et toxiques) et des firmes de capital-investissement. La City a eu recours aux paradis fiscaux pour attirer les gros patrimoines: places extraterritoriales peu regardantes sur l'origine des placements. Des montages complexes permettent de réduire au maximum et en toute légalité les impôts. Mais à force de lessiver, le blanc finit par jaunir: les paradis fiscaux semblent mis à l'index.



1.h)-Les paradis fiscaux

Ce sont selon Arnaud Montebourg (Le Monde 15 Avril 2009) des «territoires qui vivent de la dérégulation et prospèrent sur l'argent sale ou illégalement dissimulé…» qui «incitent au pillage fiscal systématique des économies voisines et organisent la protection judiciaire de ceux qui fuient le respect des lois…» ils disposent de «nombreux alliés dans les grands Etats protecteurs». La plupart des sièges sociaux (1400 selon la Confédération internationale des syndicats libres), centres de profits des grandes entreprises transnationales ayant leur activité en Europe. sont installés dans les zones à très basse pression fiscale de Suisse notamment. Ce qui conduit les Etats à suivre le mouvement de baisse fiscale généralisée sur le capital dans toute l'Union afin de résister à cette concurrence fiscale dommageable venue des paradis fiscaux.

Encerclés par la pression internationale, ils concèdent «la fin abstraite du secret bancaire, mais rien de concret qui ni le rende inopposable aux autorités fiscales et policières». En France, ils représentent 20 à 30 milliards d'euros qu'il faut retenir sur d'autres contribuables. Mais ils donnent «aux gouvernements libéraux des justifications pratiques et concrètes à leurs programmes injustes et très dogmatiques de toujours plus de baisse d'impôts et de cadeaux fiscaux pour leur clientèle électorale fortunée»…rendant «naturelle la nécessité de ne pas trop frapper les profits au motif qu'ils risqueraient de s'exiler… dans les paradis fiscaux».

Il conviendrait d'effectuer «le redressement de l'impôt sur les profits des sociétés, des fortunes et des patrimoines exilés dans ces territoire… interdiction des transactions financières à destination et en provenance de ces territoires, interdiction des sociétés de domicile (trust, fiducie), retrait des licences pour les banques exerçant sur le territoire de l'UE dont le siège social est situé dans les paradis fiscaux, fermeture d'office des filiales des banques européennes dans ces territoires, redressements fiscaux sur les sociétés ayant leur siège dans les paradis…».

Strauss-Kahn: «Ce n'est pas parce qu'on mettra les paradis fiscaux ou les agences de notation sous contrôle - et, encore une fois, il faut le faire, même si cela va prendre du temps - que cela changera la situation de ceux qui sont aujourd'hui dans la rue et qui sont menacés à court terme de perdre leur emploi».



2.-Democratie d'entreprise

La faillite de la matrice classique de la démocratie parlementaire dans le cadre de l'Etat-nation provoque l'apparition de la démocratie de "marketing" ou démocratie d'entreprise (Italie avec Berlusconi, France avec Sarkosy), une réalité consacrée par une forte adhésion populaire ou, tout au moins, approuvée par les élections. Nous assistons à «la constitution d'une idéologie d'entreprise comme axe central d'un nouveau modèle, dont la finalité est l'Etat entreprise en lieu et place de l'Etat Providence afin que "l'Entreprise Etat" et sa république d'actionnaires triomphent dans le combat international. Être en compétition pour vendre, et un chef d'Etat comme héros politico-commercial, vendeur par excellence (José Vidal-Beneyto, El País du 14 Mars 2009).La stratégie industrielle s'est faite complice des institutions financières, les employés travaillent essentiellement pour les actionnaires, s'ils les enrichissent, ils auront une prime. A travers la Bourse, l'organisation globale du système capitaliste crée le chômage et les délocalisations, et même si l'entreprise ne cotise pas en Bourse, il reste toujours la possibilité pour l'entreprise de placer une partie de son capital dans les mains de fonds d'inversions qui achètent de grandes entreprises pour les revendre en effectuant les plus values les plus élevées possibles. De la part d'un grand nombre de politiques, «il y a un refus de constater cette réalité et de questionner une croyance massive en un capitalisme fondamentalement bon (les néolibéraux) ou finalement bon (les sociaux-démocrates)» (Le Monde Diplomatique Avril 2009).



3.-Alliance pour une démocratie dirigée

3.a)-Le fantôme du totalitarisme inversé

Une autre approche est la dissolution de la démocratie dans un totalitarisme inversé (Sheldon S.Wolin "La démocratie dirigée et le fantôme du totalitarisme inversé") qui ne naît pas d'une rupture sinon d'une évolution dirigée. Son objectif principal n'est pas la conquête du pouvoir à travers la mobilisation des masses sinon la démobilisation de celles-ci jusqu'à cet état que Tocqueville avait signalé comme l'un des dangers de la démocratie américaine: un système politique où le rôle de la citoyenneté s'estompe jusqu'à se réduire à l'exercice du vote le jour des élections. Le totalitarisme inversé est l'art de modeler l'appui des citoyens en les empêchant de gouverner, ce qui débouche sur une politique dirigée plus efficace et rationnelle pour une citoyenneté apathique. Il démarre réellement avec la guerre froide et se fonde sur l'affirmation d'une volonté impériale. Aux Etats-Unis, cette approche a ses partisans dans les élites républicaines, les grandes corporations et l'évangélisme religieux: l'union consommée du pouvoir des corporations et du pouvoir gouvernemental annonce la version états-unienne d'un système total. Il se forme un super pouvoir dans cette alliance de forces régressives (aux politiques archaïques, religieuses, économiques… qui offrent un confort sécuritaire au citoyen, neutralisant ainsi un pouvoir possible de la multitude) et de forces progressistes (technologiques et industrielles… qui ont besoin de facteurs stabilisateurs pour que leurs processus de transformation nécessaires ne déraillent pas.

3.b)-Démobilisation de la citoyenneté

Elle s'obtient par:

-un déséquilibre du système en faveur de l'exécutif par une lecture restrictive de la Constitution

-l'exaltation des menaces, une politique chargée de l'idéologie de la supériorité morale de la nation, l'exploitation des peurs et du patriotisme.

-la réduction de l'espace publique et de l'idée de "la mise en commun".

Même les institutions internationales se mettent au service de cette politique. La Banque Mondiale, par exemple, pratique la pure rationalité bancaire, ce qui implique l'exploitation systématique des populations des pays intéressés, la privatisation des biens publiques et des Etats, l'ouverture de ces pays aux prédateurs du capital mondialisé. En 2000, Joseph Stiglitz démissionna de son poste de vice président, dénonçant publiquement la stratégie de privatisation et son inefficacité puisque la décision des banquiers est toujours souveraine.

La création d'une atmosphère de terreur collective et d'impuissance individuelle permet la dépolitisation citoyenne, nécessaire pour que le pouvoir des corporations se fasse chaque jour plus politique, et l'Etat plus orienté au marché.


3.c)-Le mensonge

L'objectif de l'Alliance pour une démocratie dirigée est d'imposer une idée déterminée de la réalité: établir comme vrai ce qui dans les faits ne l'est pas: mentir est l'expression de la volonté de pouvoir. Mon pouvoir augmente si une certaine description du monde, produit de ma volonté, est acceptée comme réelle. Un tel système peut ainsi imposer des limites strictes à tout changement non désiré. Obama dans son discours en Russie en Juillet 2009: «Dans un monde débarrassé des idéologies, le test d'une idée n'est pas de savoir si elle est américaine ou russe, sinon si elle marche bien». "Marche bien" pour qui?




4.-L'industrie culturelle

La production industrielle, puis l'économie de services, sont devenues des matières premières (réalisées pour l'essentiel dans les pays dits émergents) au bénéfice de "l'économie de l'expérience": on achète de la culture, du "contenu". Le patrimoine culturel, les siècles d'expérience et enrichissement culturel deviennent du "contenu" commercial. En pariant sur une économie globale et des relations commerciales à l'échelle mondiale pour développer la culture et les sociétés, l'on parvient à faire du commerce le "colonisateur" de la culture dont il est en fait le bénéficiaire.

Alain Badiou montre très bien comment l'art, l'amour ou la politique, qui sont des dimensions fondamentales de la vérité, ont été remplacées par des faux-semblants. On ne parle plus d'amour mais de sexe ; plus d'art mais de culture ; plus de politique mais d'administration. Deux paradigmes, en apparence antagonistes, dominent cette nouvelle période historique dépolitisée et «culturalisée». «D'un côté, l'optimisme du philosophe Francis Fukuyama, selon lequel nous serions arrivés à la « fin de l'histoire » avec le triomphe du capitalisme global, de la démocratie libérale et de la tolérance multiculturelle. De l'autre, le pessimisme de Samuel Huntington, qui théorise le « choc des civilisations ». Je crois qu'il s'agit de l'envers et de l'endroit d'une même position, d'une même entreprise de dépolitisation». Le « choc culturel », c'est précisément la forme que prend la politique lorsque l'histoire est terminée. Dans nos sociétés largement dépolitisées, le seul champ du politique qui reste est celui du conflit des civilisations.Les loisirs

Selon Bernard Stiegler (Le Monde Diplomatique Juin 2204): «parler de développement des loisirs –disponibilité absolue –n'a rien d'évident, car [les loisirs]n'ont pas pour fonction de libérer le temps individuel, mais bien de le contrôler pour l'hyper massifier: ce sont les instruments d'une nouvelle servitude volontaire. Produits et organisés par les industries culturelles et de programmes, ils forment ce que Gilles Deleuze a appelé les "sociétés de contrôle". Celles-ci développent ce capitalisme culturel et de services qui fabrique de toutes pièces des modes de vie, transforme la vie quotidienne dans le sens de ses intérêts immédiats. standardise les existences par le biais de "concepts marketing"…

La vie de la conscience consiste en un agencement de rétentions surdéterminées par… des objets supports de mémoire et mnémotechniques qui permettent d'enregistrer des traces, notamment photogrammes, phonogrammes, cinématogrammes, vidéogrammes et technologies numériques formant l'infrastructure technologique des sociétés de contrôle à l'époque hyperindustrielle… technologies de contrôle qui altèrent l'échange symbolique… Cette misère symbolique conduit à la ruine du narcissisme ( conditionnant de la psyché, du désir et la singularité) et à la débandade économique et politique».



5.-Les lobbies


Un exemple cité par El País du 24 Juin 2009: "Les dents affilées de l'Europe"-le président de la Commission consulte ses "experts" de l'Opus Dei chaque six mois à la recherche de projets et de propositions. Il y a 15000 lobbies installés entre Bruxelles et Strasbourg: la commission a exclu de toute possibilité de contrôle de transparence les "communautés de foi" (commission épiscopale de la communauté européenne, l'office européen des jésuites, Eglise et Société d'obédience protestante et orthodoxe, le BEPA, buffet de conseillers en politique qui regroupe 68 communautés et associations religieuses et sectes de toutes obédiences, comme la Scientologie…Les multinationales prennent aussi position et offrent généreusement l'aide de leurs experts.


Ceux qui sont responsables de la débâcle financière internationale sont les mêmes qui sont consultés pour surveiller la spéculation financière internationale. Les aides économiques sont destinées aux groupes industriels de l'agriculture, de l'élevage ou sucriers, et non aux agriculteurs.


Notes

[1] Thomas Palley est un économiste diplômé d'Oxford et de Yale. Ses travaux sont régulièrement publiés par der revues unniversitaires et ses tribunes paraissent dans le Financial Times, Guardian,…
Les pages qui ont pour libellé  "Les règles du jeu", constituent une recherche sur les mécanismes qui caractérisent les marchés financiers, les Etats, le leadership et la souveraineté, ainsi que certaines pistes possibles sur l'action citoyenne. Cette recherche s’est faite sous forme de spersa colligo. C'est-à-dire qu'à partir d'informations disperses (spersa) dans articles, revues, blogs d'économistes… j'effectue un rassemblement(colligo)  avec une volonté de cohérence qui s'appuie essentiellement sur la page "L'empire"(voir colonne ci-contre le lien avec Toni Negri) par laquelle débute ce libellé.