Retour de guerre: "La loi du silence" (Hitchcock)

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Dans la page précédente, "Hot Europe", je reprenais quelques titres de films noirs ayant comme toile de fond la guerre mondiale et ses conséquences sur le comportement des protagonistes.  Je traite ici plus en détails du film de Alfred Hitchcock I confess (La loi du silence-1953)



Un drame psychologique
Fiancé à Ruth (Ann Baxter), Michael (Montgomery Clift) est appelé par l'armée en Europe où a éclaté la guerre. A son retour,

 il parait ébranlé, hésitant devant celle qui ne l'a pas oublié mais... qui s'est mariée. Il décide de choisir une voie spirituelle et à rentrer en religion. Il devient le père Logan (il est catholique comme Hitchcock qui a certainement gardé un souvenir mémorable de la pièce de théâtre de Paul Anthelme, "Nos deux consciences", vue dans les années 1930). Son amour passé, Ruth, le retrouve et, même s'il porte la soutane, continue à chercher à réveiller en lui le désir en lui parlant de son amour. Ce qui lui sera fatal.

Ruth ment à son mari pour protéger Michael



Nous sommes bien sûr en plein drame psychologique car, au drame passionnel s'ajoute le cas de conscience du prêtre, le secret de la confession d'un criminel. Jusqu'où peut-il aller pour respecter ce secret?

La confession

 -Notons la force de l'image qui définit  la relation entre le criminel et son confesseur-



Mais il y a, peut-être, dans cette époque difficile de la postguerre, un message politique assez douteux de la part de Hitchcock, avec le choix, comme assassin, d'un immigré allemand aux Etats-Unis –et aussi pour acteur,  avec O.E.Hasse dans le rôle. Le criminel Otto Keller fera tout pour charger le père Logan. Il y a en lui un état de haine aveugle, presque de folie; il cherche à se faire une place en commettant un vol puis un meurtre avec la complicité de sa femme, Alma.

Alma doute...

...du père Logan


Hitchcock force la dose sur ce sujet, théâtralise à outrance,


sans pour autant diminuer la force de jeu de Clift, lequel sauve le film.

Ce que Michael a vécu pendant la guerre, ses hésitations face à la femme retrouvée, le poids du passé, sa décision de la vie d'ecclésiastique et, à présent, le secret de la confession à porter, toutes les épreuves vécues rigidifient ses mouvements, lui donnent un regard qui scrute les consciences, surtout celle d'Alma.


Il garde, tout au long du film, une voix qui murmure plus qu'elle n'affirme, sa douceur est triste: s'il hésitait encore à rentrer en religion, n'est-ce pas parce que la femme lui a menti et ne l'a pas attendu? Et maintenant, quand elle prétend le sauver et lui donner un alibi, ne ment-elle pas à nouveau? Nous ne connaîtrons que sa vérité à elle, dans un flash-back sirupeux, ridicule...


... d'une situation qu'elle évoque avec un romantisme d'une autre époque. Ment-elle à nouveau pour le sauver? Son regard à lui donne une autre vérité, celle que leur amour leur a donné: le sexe et le mensonge. Il ne parlera pas. Mais les révélations de Ruth, au lieu de lui offrir un alibi, le chargeront d'avantage.

L'alibi se transforme en accusation

Il affronte la justice humaine...



 ...et puise sa force en élevant son regard,


il cherche à se situer au-dessus du tourbillon humain.
Mais il ne pourra contenir la violence qui bout en lui et brisera la vitre de la voiture.


Peut-il croire vraiment? Montgomery Clift joue brillamment sur tous ces registres.

Si Hitchcock a semble-t-il été gêné, lors du tournage, par le jeu de l'acteur, inspiré de la "Méthode" Äctor Studio, on peut penser que Clift a du s'en défendre. Son jeu est totalement physique et sa sensibilité pour interpréter un tel rôle n`a certainement pu qu'aider Hitchcock. Récemment, Michael Fassbender, avec une qualité semblable et formé à la même école, bien qu'à des époques différentes, reconnaît dans une entrevue, s'être affranchi de la "Méthode" et dit ce que probablement l'on pourrait appliquer à Clift: «Jouer relève avant tout du bon sens. J'essaie le moins possible d'importuner le réalisateur avec ma manière de travailler…Les réponses que je lui apporte sont `physiques». Il est certain que les moments de Clift sans soutane, si à l'aise, perché sur une échelle en jeans et manches retroussées, attitude si chère à James Dean,


...ne sont probablement pas pour plaire au catholique Hitchcock, lequel a souvent alourdit ses films par son respect, voire sa soumission aux institutions policières, judiciaires et religieuses Pensons à The Paradine Case (Le procès Paradine-1947) ou The wrong man (Le faux coupable-1956). On est loin de The man who know too much (L'homme qui en savait trop), non pas dans sa version de 1955 avec ce jeu si lourd et classique de James Stewart et l'ineffable Doris Day, mais dans celle brouillonne et joyeuse de 1934, où l'on se rie de tout: des terroristes de Peter Lorre à l'église, de l'incompétence de la police et des services secrets, même du crime puisque la victime est prête à s'excuser auprès de sa partenaire pour le trou de balle qui salit sa chemise (voir "Hot Europe", page précédente). Notons cependant, cette image,d'une femme, près du couple Keller au moment le plus dramatique, croquant une pomme. Elle nous ramène "aux bons vieux Htichcock".





Peut-on alors parler d'un film noir...
... seulement parce qu'il y a la femme fatale, le noir et blanc, le détective, les coups de téléphone ? et…


...le crime, bien sûr.
L'art de Hitchcock est de donner une telle force aux images qui correspondent à ces différents aspects du film noir, que le drame psychologique et le chemin de croix du prêtre sont contrebalancés:
-par le choix des localisations (monuments et rues: nous sommes ici au Québec) avec une ouverture dans un noir et blanc expressionniste aux jeux d'ombres inquiétants,





-un échange de regards entre le détective et le suspect très étudiés,


- particulièrement le jeu sobre et réaliste de Karl Malden en détective, aussi au fait des problèmes que pose la conscience humaine que le père Logan.



-des appels téléphoniques pleins d'angoisse




-l'ambiance que crée le criminel, son action au procès, sa fuite désespérée…  jusqu'à la mort.


Malgré ce talent, on reste loin de la réalité quotidienne de ces personnages médiocres, de ces détectives anti-héros, qui font le charme des films noirs. C'est le drame du couple, décrit par moment comme un feuilleton romantique, que les circonstances ont désunit sous l'œil sévère, implacable de la police et d'une justice á l'ombre de la croix.


A suivre...