Blessures de guerre: "Le violent" (Nicholas Ray)

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"Dixon Steele":  C'est ainsi que Humphrey Borart signe ses autographes aux jeunes qui campent devant le bar Paul où se réunissent les célébrités de Hollywood. Dixon, le scénariste si célèbre avant guerre, n'est plus le même. Qu'a-t-il vécu durant cette guerre? Quelles blessures saignent encore en lui? Nous ne le saurons jamais. Il n'est plus le même…
Un an avant le tournage de In a lonely place (Le violent-1950-Nicholas Ray), Bogart avait créé sa propre société de production, Santana Pictures, avec justement un film noir de Nicholas Ray, Knock on Any Door (Les ruelles du malheur). Cette indépendance de la Warner Bros lui permet d'aborder des rôles plus dramatiques et In a lonely place  en est la démonstration. Dix, le personnage de Bogart, n'est plus le Rick de Casablanca, tourmenté et blessé par l'amour perdu mais généreux et plein de sang-froid quand il s'agit d'aider la résistance française pendant la guerre contre les nazis. Dix en est l'opposé, "la guerre l'aurait détruit" disent ses amis.

Bogart, son agent et quelques amis au Bar Paul


Célèbre scénariste de FILM NOIR dans le passé, ex officier de l'armée américaine si apprécié de ses subordonnés pendant la guerre (d'après l'un d'eux, le policier Nicolai qui mène l'enquête). Voilà Dix à court d'imagination, grincheux, irritable, violent parfois avec ceux qui le provoquent ou manquent de respect à ses vieux amis.

Ces derniers gravitent autour de Dix,  pris dans sa souffrance du processus créatif, avec affection et compréhension. Nicholas Ray met en scène des personnages sous tension, dans le milieu du cinéma qu'il décrit avec une force de réalisme dans les relations entre différents représentants de l'industrie cinématographique, mais avec aussi une qualité humaine que l'on retrouve dans la relation amoureuse des protagonistes –On remarquera que, la même année, Billy Wilder tourne Sunset Bvd et Mankiewicz All about Eve.
Voilà un film qui met en abîme le film noir. Autour du thème de l'assassinat traité de façon classique, avec


photos de la victime,


suspects,

détective, bureau du commissaire,

scènes de nuit en voiture,

le piano de Hadda Brooks, etc…,
Nicholas Ray développe un film plus profond. Bogart interprète Dix avec une force inouïe de vérité. Gloria Grahame lui donne la réplique dans une interprétation de la femme amoureuse qui sait marquer son territoire. Sa présence envoûtante, en touches étonnamment modernes, nous permet ainsi d'oublier la pâle Joan Fontaine prise par ses Soupçons hitchcockiens. Le couple Grahame-Bogart, deux icones du Film Noir, donne au film son côté glamour.


Tous les acteurs sont au service d'un dialogue et d'une représentation du quotidien qui respire l'affect entre les êtres et, par contraste, met en valeur l'atmosphère de film noir créée par le soupçon envers Bogart de ceux qui l'aiment. C'est là que Nicholas Ray réussit un coup de maître en nous faisant sentir sa propre présence dans la complicité de jeu d'un groupe d'acteurs qui nous offrent le film du film noir.


Une anecdote sur le jeu de Bogart: la scène finale ou il comprend qu'il n'y a plus d'espoir avec Gloria, cet appui contre le chambranle de la porte de la chambre puis ces quelques pas chancelants pour s'appuyer sur la table: Tony Ray, fils de Nicholas Ray, reprendra ces gestes dans une scène de séparation à la fin de Shadows de John Cassavetes et épousera quelques mois plus tard Gloria Grahame… qui fut la femme de son père jusqu'au tournage de In a lonely place..


Tony Ray dans Shadows de Cassavetes