Démocratie (réelle) ou domination

Cette page appartient au Dossier VIVRE ENSEMBLE en cours de préparation.

Nous expérimentons la démocratie de la représentation. Elle se caractérise par l'a priori d'un projet national et d'une nation souveraine . Nous avons déjà traité de la souveraineté dans le Dossier LES RÈGLES DU JEU quant à la "Vulnérabilité et la sécurisation du pouvoir global". Cette souveraineté nationale se manifeste particulièrement dans la décision, laquelle est le monopole du chef d'Etat dans les régimes républicains ou de gouvernement dans les régimes à monarchie parlementaire.



La décision

La décision du chef confirme la souveraineté du pays lorsqu'elle montre son caractère absolu, libéré de toute obligation normative dans, par exemple les états dits "d'exception" comme la crise économique, la révolte ou, bien sûr, la guerre . Mais ce caractère absolu tend à devenir la norme lorsque la majorité de la représentation politique est du même parti que le "souverain", ce qui est le cas le plus fréquent. La souveraineté est en fait aux mains d'un corporatisme.

Le culte de la personnalité qui caractérise les démocraties modernes, ces sociétés du spectacle annoncées par Guy Debord, accompagne l'acceptation de telles prises de décisions comme preuves de dynamisme et d'esprit d'initiative du souverain élu (voir dans ce Blog "Construction de l'espace public mondial").



Cependant, la décision absolue met en relief les limites du système démocratique en vigueur, la faiblesse des institutions et se traduit dans les faits par une situation politique du type dominant / dominé, à la condition que la désinformation qui la porte n'aveugle pas le citoyen.



Le monopole de la violence

De plus, en démocratie représentative la décision du souverain se prend dans un contexte d'antagonisme entre partis dont la logique est l'affrontement. Il y a les alliances et l'attaque direct des (ou aux) opposants. Dans le cadre de la politique extérieure, l'affrontement est latent ou déclaré, il y a toujours un ennemi désigné, que ce soit un pays ou une idéologie censée menacer les "intérêts vitaux" de la souveraineté. Aussi, les démocraties qui s'autoproclament avancées se retrouvent souvent en contradiction avec les principes de liberté et de droit des individus.



La rhétorique du pouvoir dominant est que les humains peuvent légitimement utiliser leur potentiel pour créer une véritable puissance d'initiatives. En réalité, le pouvoir s'approprie de cette puissance au nom d'une souveraineté nationale qui s'affronte au danger et à la compétition internationale et organise la fusion entre puissance et violence.

Max Weber nous dit que le pouvoir politique a le monopole de la violence, ce qui revient à affirmer que la violence est son moyen spécifique et exclusif. Il définit l'Etat comme une relation de domination d'hommes sur d'autres hommes qui se maintient au moyen de la violence. Le monopole de la violence étatique permet au souverain de décider de la dissolution de manifestations pacifiques, de désigner l'ennemi là où il lui convient, dans ses villes ou dans d'autres capitales.

Le potentiel des humains, dans leur diversité, se voit ainsi frustré. Leur capacité d'initiatives est utilisée par l'Etat, contre eux si nécessaire. La puissance et la violence de l'Etat envahissent l'espace public, qui devrait être celui de la politique, au bénéfice des moyens et des fins de ce que l'on nomme le politique.







La domination

Au niveau international, le pouvoir de décision appartient à un club restreint qui pilote la gestion du monde, dont le moteur est un système économique et financier opaque dans l'espace public, et ce au nom du bien de l'humanité. C'est ce que Bertrand Badie nomme "le Directoire du monde" qui, sous la forme de G8 ou G20 «incarne le poing de la puissance dans un gant de paix universelle».

Une "élite" domine l'espace public propre à l'ensemble des nations, c'est-à-dire à l'humanité. Il s'est formé une oligarchie, ou plutôt uneoligo-cratie (voir Arkhos et Kratos dans ce Blog), qui dispose d'une puissance idéologique basée sur l'intégration des pouvoirs politique, économique, financier et bien entendu médiatiques. C'est un empire mercantile globalisé, tel que nous l'avons décrit dans LES RÈGLES DU JEU.

Cette oligarchie dirige les projecteurs de ses médias là où elle le désire: ce sont les messes des G7, 8, 20…et des cénacles comme le Forum de Davos, le Groupe Bilderweg, la Commission Trilatérale ou se retrouvent les partis de gouvernement états-uniens et ceux du centre et de la droite européenne, ou encore les réservoirs de réflexion, think tanks, si influents.

La tentation est grande de voir complot et conspiration dans un tel pouvoir concentré de domination. Il serait pourtant plus réaliste de décrire une telle organisation comme un maillage complexe d'intérêts économiques, financiers, de groupes de personnes dans le cadre d'une dynamique sociale autonome comme le signale Noam Chomsky.



Le conditionnement

Ce qui est par contre évident est la capacité de conditionnement propre à ce type de domination qui gère les affaires communes à l'ensemble des individus dans l'intérêt de quelques uns et démontre la faiblesse du système politique sinon sa complicité.

C'est en effet le politique qui, relayé par les médias, a la charge de l'image et des mots, dans le cadre d'une rhétorique de la liberté individuelle et de l'égalité des droits, tout en donnant à la sécurité la part qui convient dans ce conditionnement. C'est là l'idéologie de la démocratie liberale, qui se traduit par la soumission des individus (Voir Liberation ou servitude?, dans ce Blog- chapitre Texto et qui traite du livre de Jean-Léon Beauvois "Traité de la servitude libérale: analyse de la soumission")



Ainsi, le mirage de la liberté fait oublier la relation directe, biologique, au bien commun qui est le fondement d'une Démocratie Réelle. L'aliment et la matière première qu'offre la nature ne sont plus que le résultat d'une chaîne de production. Les services publics, au lieu de dépendre des intérêts et des nécessités directes de tous comme bien commun, sont cédés à des entreprises privées qui ont comme moyens la compétitivité et comme finalité le bénéfice des actionnaires. Les conditions d'exploitation des ressources énergétiques sont en contradiction avec les fondements d'une Démocratie Réelle, bénéficiant à certains au détriment de tous, voire au risque de mettre en danger la santé et la vie dans le cas des émanations de gaz ou de radioactivité.

Le droit des individus est bafoué dans l'indifférence et l'obsession de la sécurité devient le prétexte à l'exclusion et la violence. L'individu conditionné ne voit pas la contradiction qu'implique la liberté individuelle qu'on lui propose avec le système de sécurité qu'on lui impose. Applaudissant l'instauration de cette fausse démocratie dans les anciennes dictatures, il ne sait pas que ce sont les élites qu'il a élu qui mettent en place ceux qui deviendront les élites élues de ces démocraties naissantes.

Le pouvoir politique, au lieu de prévoir les flux et les devenirs de ceux qui l'ont élu pour cela et gouverner avec le recul nécessaire, peut alors s'accorder parfaitement aux problèmes de la société en les traitant au jour le jour, toujours dans l'obsession de la sécurité, donc en manipulant les peurs, et il sait promouvoir l'exclusion plutôt que l'inclusion.

L'individu conditionné ne sait pas qu'il a élu un pouvoir populiste qui, au-delà de cette gouvernance au jour le jour sait parfaitement faire le jeu des grands monopoles économiques et financiers. Et ce, même en pleine crise internationale, malgré les promesses d'un contrôle et d'une régulation de ces monopoles. L'individu, dans son conditionnement et son ignorance, vote contre lui-même.

Il ne sait pas qu'en exprimant son indignation, face à la situation que génère un tel système, il maintient le dialogue avec les élites.

Il ne sait pas qu'en revendiquant, au nom d'une Démocratie Réelle, un type de représentation politique plus en accord avec les devenirs de la société, il fait en sorte que ce système oligarchique se perpétue.

Reste que ces pulsions émotionnelles traduisent un réveil du coma social profond dans lequel se trouve la masse des individus européens. La véritable révolution ne serait-elle pas, en fait, ce phénomène de rébellion qui porte en soi la constitution d'un espace de liberté? Comme dit Hannah Arendt , si la grande majorité des humains exerçait son pouvoir, c'est-à-dire son action concertée, il n'existerait aucune domination qui puisse les avilir.