"Dr Folamour" (Cycle: Au temps des mensonges)

«Ce qu'il y a de plus terrible dans cet univers n'est pas son hostilité sinon son indifférence; cependant, si nous arrivons à nous faire à l'idée de cette indifférence et accepter les défis que, dans sa finitude,  lance la vie (et ce, bien que l'humain puisse déplacer les frontières de la mort), notre existence comme espèce peut avoir un sens et nous combler. Quelle que soit l'immensité de l'obscurité qui nous entoure, nous devons donner notre propre lumière» (Stanley Kubrick)


Au-delà des mensonges, Docteur Folamour  nous offre une caricature radicale de la folie politique et militaire. Dans les années 1960, en pleine guerre froide, Stanley Kubrick décide d'aborder le thème d'actualité le plus angoissant: la guerre nucléaire. En critiquant ce que certains historiens nomment "l'équilibre par la terreur", le réalisateur met en évidence le fait que la banalisation d'un tel équilibre conduit  les humains à oublier la nature de la terreur. C'est donc en nous représentant les extravagances des hommes de pouvoir que Kubrick  va dénoncer, dans ce film, la folie de cet équilibre. Bien que Docteur Folamour se présente comme un divertissement éloigné de toute réalité, Kubrick vise certains généraux. Ceux qui, comme le général Curtis Lemay dans cette époque de guerre au Vietnam, parlaient de «ramener ce pays à l'âge de pierre». Ou ceux qui, quelques années avant pendant la guerre de Corée, parlaient de délimiter la frontière avec La Chine par une "barrière radioactive". Les idées délirantes des généraux Mac Arthur, Lemay et autres, comme la proposition du député Gore, père de Al Gore, d'en finir avec cette guerre par un cataclysme «puisque la Corée est en train de détruire peu à peu la virilité des soldats américains», dépassent de loin la fiction de Stanley Kubrick.


Le Général Ripper s'inquiète pour ses flux coporels
Seraint-ils contaminés par les communistes?



Dans le film, le général Ripper (Sterling Hayden) confie à son conseiller britannique qu'il devient impuissant parce que les Soviétiques contaminent «nos précieux flux corporels». Le général donne l'ordre de lancer des bombes atomiques sur l'URSS. Que fra le président des Etats-Unis (Peter Sellers)?


Le président entouré de ses conseillers


Quelle sera l'influence du Dr Folamour (Peter Sellers)?


Docteur Folamour

Le conseiller britannique (Peter Sellers) parviendra-t-il à calmer les ardeurs belliqueuses du générale dont le flux séminal est contaminé?


Le conseiller britannique



Le génie de Kubrick est de situer à l'Etat Major états-unien dans une situation de crise aigue et de mettre en évidence le comique de son incompétence. Les exagérations volontaires stigmatisent la perversion des militaires, leurs échecs et ceux de la technologie. Le Dr Folamour, conseiller du Pentagone, est la caricature de Werner Von Braun. C'est un scientifique irresponsable, inconscient du danger de ses propositions, créateur de "belles machines" qui tuent et mettent en danger la survie de l'humanité.  Cette relation entre le conseiller Folamour et le nazisme est là pour rappeler la critique faite aux gouvernements démocrates qui ont accueilli ces scientifiques après la chute du nazisme. C'est aussi une référence à la menace que représente la possession d'armes aussi dévastatrices par des régimes dont l'idéologie peut à tout moment basculer dans le totalitarisme.
Communistes ou capitalistes? Pour Kubrick où est la différence si la folie humaine, en fin de compte, est plurielle et atteint les uns comme les autres. Il montre ainsi son intérêt non pas pour la guerre en soi, mais pour les hommes qui la font: militaires et politiques en opposition,  dysfonctionnement entre les hommes et les machines. Ce qui compte ce n'est pas l'esthétique des bombardiers B52 mais que la machine totalitaire soit victorieuse. Kubrick nous prévient: le Docteur Folamour se lèvera finalement de sa chaise roulante. C'est le triomphe du Mal: «Mein Führer, je peux marcher!»


Mein Führer, je peux marcher!


Stanley Kubrick, comme d'autres grands artistes, a marqué le XX ème siècle. Un de ses admirateurs, Martin Scorcèse, se souvient: «Avec Dr Folamour, Kubrick a inventé un genre, celui de la comédie noire. Avec 2001, Odyssée de l'espace il a créé les fondements de la science-fiction moderne. Avec Orange mécanique il a anticipé l'esthétique punk».

Dr Folamour se base sur l'argument apocalyptique du roman "Alerte Rouge" du militaire britannique Peter George publié en 1958. Tourné en moins d'un an, ce qui est unique chez Kubrick, il nous offre une photographie éblouissante de Gilbert Taylor aux noirs et blancs splendidement contrastés, des effet spéciaux qui vieillissent bien et une musique parfaitement adaptée, ce qui est la marque du réalisateur.

La force réaliste du film réside, comme dans 2001, Odyssée de l'espace, dans l'utilisation de l'espace et de la technologie. Ici, nous avons trois espaces indépendants: le Pentagone, le quartier général d'où part l'ordre du Général Ripper, le bombardier qui perd la communication avec sa base. Quant au réalisme que donne Kubrick à la salle de guerre du Pentagone, aux bombardiers, uniformes, protocoles de l'armée… il est étudié avec une telle précision que le FBI se lança dans une enquête sur les sources d'information du réalisateur.

Quelques phrases

Docteur Folamour fit rire toute une génération avec la contamination des fluides corporels contaminés par les communistes et, plus encore, avec quelques expressions inventées par le scénariste Terry Southern. Le président des Etats-Unis se nomme "Merkin Muffle" que l'on pourrait traduire par idiot au poil pubien (allusion à une possible homosexualité face au machiste Turgidson?).
La traduction du titre est : Dr Etrange amour: comment j'ai appris à ne pas me préoccuper et à aimer la bombe.

 

Messieurs, on ne peut pas se disputer ici, c'est une salle de guerre!

Conversation téléphonique avec Moscou sous le contrôle du délégué soviétique
La guerre est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux mains des politiques

«La paix est notre profession»
peut-on lire sur le panneau à l'entrée du quartier général d'où part l'ordre de guerre nucléaire.





«Will meet again: nous nous reverrons, je ne sais pas où ni quand, mais… un jour» chante un chœur tandis que tombent les bombes atomiques sur la planète.