"Berlin Express" ou l'Europe fragmentée

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Les chiens de la guerre sont lâchés
Au sujet d'une implosion de l'Union monétaire européenne, les experts ont du mal à exprimer les conséquences économiques d'une telle option même pour l'Allemagne dont les banques très exposées aux dettes souveraines de l'Europe du Sud et de l'Irlande, n'échapperont sans doute pas à la faillite (Lu dans "Le Monde" du 07/12/11). Une telle catastrophe touchera plus sévèrement la périphérie de l'Europe que les pays forts (périphérie?) mais l'on peut résumer un tel scénario en citant Shakespeare: «Cry!"havoc", and let slip the dogs of war» «iez au carnage et alors seront lâchés les chiens de la guerre».


Il serait difficile de ne pas établir une relation entre la situation que nous vivons en Europe et certains films que je crois pouvoir situer dans ce dossier. Je pense avant tout à Berlin Express de Jacques Tourneur en 1948, le document sur les ruines de l'Allemagne que Rossellini, un an auparavant, a aussi traiter dans Allemagne, année zéro.

Après avoir introduit ce dossier avec la page "L'aquarium" sur une association d'images entre les films de Hitchcock et Welles, respectivement Sabotage et La dame de Shanghai, je ne me sépare pas de l'idée de domination tant de fois traité dans les pages politiques de ce blog comme LES RÉGLES DU JEU ou VIVRE ENSEMBLE.


Fragmentations et dominations

Le thème de Berlin Express est le problème des fragmentations et des dominations. La domination des puissances alliées et de l'Union Soviétique sur ce qui reste de l'Allemagne pour tirer profit de sa reconstruction. La fragmentation due à l'impossibilité, sinon d'unifier, du moins d'en finir avec les identifications et les nationalismes.


A Berlin, avant le mur: Russes, américain, allemand, française... et un anglais



Nous avons ici le témoignage sur Paris dont les trains en direction de l'Allemagne sont contrôlées par l'armée américaine,

Guichet de l'armée américaine à la Gare de l'Est à Paris


une vision dantesque de Francfort en ruines,




de la population allemande photographiée dans son quotidien, les panneaux de recherche des disparus que Fassbinder reprendra dans Die Ehe der Maria Braun (Le mariage de Maria Braun-1979).




Berlin Express, est traité dans ses premières images avec un style et une atmosphère assez proches des meilleurs Hitchcock.

MacGuffin de Tourneur


Le Dr Bernhart, allemand, pacifiste de renommée internationale,
Paul Lucas est le Dr Bernhart


propose dans des conférences organisées à Paris et Berlin un plan de réunification de l'Allemagne au sein d'une Europe en paix. Probablement, une sorte d'Etats-Unis d'Europe… avec la bénédiction des Etats-Unis, c'est-à-dire une "Pax américana", le Dr Bernhart étant protégé par les services secrets et l'armée américaine d'occupation.

Le regard bienveillant des américains



 Le film met en évidence cette organisation américaine, sa main mise sur l'Allemagne occupée, mais aussi la présence du noyau allemand nationaliste , aux relents nazis, qui cherche, par l'action terroriste, à reconstruire l'unité allemande contre cette force de domination étrangère.

Malgré le coté schématique du film, un train avec...


... le russe, l'américain, l'anglais le français qui résonne d'avantage comme le début d'une histoire drôle, le film va faire ressortir ces problèmes de domination et de fragmentation dans une ambiance de film noir assez réussie et accentuée par un décor de ruines,

de bars réservés aux uns ou aux autres,


A la recherche du Dr Bernhart dans les bars sous les décombres
 

de caves, de brasseries en ruines

Dans la brasserie en ruines, repère des terroristes


et bien sûr de bureaux des services américains...

... qui occupent des bâtiments préservés à cet effet par leurs bombardements de Francfort.

Edifice I.G.Farben, centre névralgique de l'armement du Troisième Reich,
épargné par les bombardements, maintenant Quartier Général des forces américaines

Utilisation du monte-charge pour interroger les passagers du train


Tourneur explique bien, non sans ironie, cette organisation américaine toute puissante à Paris comme à Francfort...
Entrée controlée dans la "zone verte" qui nous rappelle celles de Bagdad et Kaboul de nos jours

et en profite pour faire planer le soupçon sur la complicité de la France collaboratrice,,,

L'assassinat du Dr Bernhart  passera-t-il inaperçu?


,,, de ces anciens nazis qui se reconvertissent en constructeurs d'une nouvelle Allemagne unie au détriment de la paix et d'une union européenne possible. Cette collaboration, nous la retrouvons aujourd'hui dans une politique qui semble tout faire pour empêcher en fait la possibilité de créer une véritable Europe solidaire Même si à la fin on force l'optimisme,  le film est bien marqué par les rejets nationaux, les besoins identitaires, sous l'œil bienveillant… des Etats-Unis.

Comme toujours, les anglais suivent leur propre chemin




Malgré un rythme qui tend à se ralentir après l'enlèvement du pacifiste et quelques invraisemblances, l'ambiance du film est marquée par la force des localisations, certaines images très noires


Hitchcock pensera-t-il à cette image quand il tournera "Vertigo"?

un brave héros américain,

Robert Ryan



une secrétaire française,

Merle Obéron


des personnages inquiétants,


la réalité d'un état d'après guerre… qui n'est pas loin de la fiction d'un bon FILM NOIR!