Une société qui vit une crise économique, l'explosion du chômage, l'augmentation de la délinquance. Ministère de l'intérieur et syndicat du crime à l'action: la manipulation des peurs et le leitmotiv de la sécurité. Tous les ingrédients sont là pour que la démocratie représentative, la délégation à d'autres du pouvoir de chaque citoyen, combinés au culte de la personnalité qu'offrent les élections, engendrent le monstrueux.
L'agonie d'une république
Berlin 1930. Les assassinats en série de petites filles par M provoquent une psychose collective de peur qui développe un esprit de délation dans la ville. L'action de la police gêne bien entendu les truands. Entre l'administration de la République de Weimar et le syndicat du crime, Fritz Lang décrit une classe moyenne bourgeoise avec ses conversations de café, ses bières et cigares, celle-là même qui se situe déjà du côté de l'oppression au nom de la pureté de la race, au sein d'une incroyable mutation de l'histoire.
Conversation animée dans un café |
Au-delà de l'étude des pulsions d'un pédophile, le film nous offre une peinture saisissante de la société allemande à la veille de la prise du pouvoir par Hitler, du ministère de l'intérieur et son appareil policier, du monde du crime organisé et d'une opinion publique de plus en plus partisane et vindicative.
Contrôle de police |
Nous sommes au cœur d'une crise économique provoquée par l'effondrement boursier aux Etats-Unis, la fermeture des banques, un chômage qui passe de 5 millions à 10 millions en trois ans. Il serait facile de faire une lecture à posteriori de la représentation que nous donne Fritz Lang, connaissant l'évolution des évènements après le tournage du film. Cependant, il convient d'en saluer le côté prémonitoire.
Le pointage des mendiants par les bureaucrates, la marque "M" .sur son pardessus pour stigmatiser le petit bourgeois assassin que l'opinion publique va bientôt condamner, autant d'éléments qui préfigurent l'obsession des nazis pour archiver la totalité de la population et, en premier lieu, les catégories qui doivent "dis-pa-raître", comme dit Schränker. Rien qu'un numéro, que l'on peut effacer du registre d'un camp de concentration.
Fichiers au Ministère de l'intérieur |
La pathologie de M n'est-elle pas d'ailleurs la vision critique de la maladie d'une République de Weimar agonisante, alors que, sous le masque du socialisme, d'autres préparent le terrain pour un "ordre nouveau".
Les nazis interdiront le film en 1933. Un documentaire de propagande raciste de Fritz Hippler, en 1940, en utilisera des extraits, en particulier le discours idéologique que prononce Schränker lorsque M est jugé par la foule, discours paranoïaque traversé par la phobie violente du "germe qu'il faut détruire".
Schränker: dis-pa-raî-tre |
Un chef-d'œuvre
Fritz Lang utilise dans son film une dynamique hachée, une discontinuité dans la présentation des personnages et des différents pouvoirs qui dominent la ville, dans un encerclement progressif du psychopathe. Il nous mène ainsi, dans un crescendo émotionnel, à une continuité temporelle qui dévoile la nature de l'assassin lequel ne prend la parole que dans la rencontre finale des différents pouvoirs.
Le jugement populaire de M |
Lang eut accès à de nombreux documents sur les méthodes policières de l'époque. Il consulta des psychiatres et des psychanalystes, rencontra des personnages du syndicat du crime et quelques truands jouèrent dans le film. Il s'inspira de faits réels comme "la bourse des mendiants" ou un article de presse où il était fait état des services que le syndicat du crime offrait à la police.
"M le maudit" est l'un des chefs-d'œuvre des débuts du film parlant et un classique du cinéma, et aussi le film que Fritz Lang préfère de toute sa filmographie. Il reste une date dans l'histoire d'une Allemagne qui s'engouffre dans un trou noir. En 1929, Lang rompt ses liens avec la UFA qui a produit "Metropolis" et "Les espions", la firme productrice étant passée aux mains de ceux qui appuient l'arrivée de Hitler au pouvoir. C'est avec la NERO-film que Lang prépare "M, le maudit", son premier film parlant. Il le tourne en six semaines et la sortie en salles a lieu en Avril de 1931.
Lorsque le régime nazi au pouvoir utilise l'affiche du film pour sa campagne antisémite, l'acteur Peter Lorre, de son vrai nom Ladislav Lowenstein et qui incarne M, émigre aux Etats-Unis en compagnie de Bill Wilder en 1933, juste après Fritz Lang. Celui-ci se sépare ainsi de sa femme, Théa von Harbou, qui a participé amplement au scénario avec le réalisateur.
Gustaf Gründgens (Schränker) |
L'acteur Gustaf Gründgens (Schränker, chef des truands dans le film) est, à cette époque, célèbre pour son interprétation de Mephisto dans le Faust de Goethe. Plus tard, il sera nommé par le gouvernement nazi. Pour diriger le Grand Théâtre de Berlin en 1933. Istvan Szabó a tourné un film, Méphisto, sur ce personnage.