"Diplomatic Courier" (H,Hathaway)-Trieste

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Le courrier diplomatique Michael Kells est intercepté par les services secrets US à son arrivée à Paris pour une mission qui va le mener en Autriche pour réceptionner un document secret de la part d'un espion américain qui se trouve être un ancien ami. Il se trouve pris dans un tourbillon d'évènements et de rencontres qui rendent sa mission de plus en plus dangereuse. La recherche du document secret le mène à Trieste où se déroule la plus grande partie du film. Il sera victime des apparences et du double jeu de ceux avec qui il rentre en contact. Il sera aussi utilisé par l'armée alliée qui contrôle une zone de Trieste et par les espions soviétiques qui, du côté yougoslave, cherchent à empêcher la découverte de leur plan d'invasion de la Yougoslavie

La misión: "Semper Project"


Un film d'espionnage
Les personnages de détectives ont généralement des comportements désabusés, cyniques, de ratés parfois à la limite de la légalité. Ils se déplacent dans des ambiances de bars ou de ring de boxes Par contre, l'espionnage dans le film noir nous donne des héros qui nous surprennent dans leurs agissements à rebondissement. Les espaces qu'ils fréquentent sont ceux de la vie quotidienne d'un individu ordinaire. L'action et les dialogues créent un climat de double langage, de mensonges, simulacres et trahisons et cette dimension romanesque offre souvent de véritables chef-d'œuvres comme, il me semble, Five fingers (Opération Cicéron- Joseph Mankiewicz- 1952) ou, dans une moindre mesure, The third man ( Le troisième homme- Carol Reed-1949)


Diplomatic courier est un film relativement peu connu parmi les films d'espionnage. Dans l'esprit avec lequel je développe actuellement le Dossier Film Noir, à savoir l'influence des guerres en Europe j'aurai pu choisir The third man  qui nous situe dans l'Europe d'après guerre et une situation de conflit latent entre les forces d'occupation occidentales et soviétiques. Mais mon choix de ce film de Henry Hathaway, tourné en 1953 en grande partie dans la ville de Trieste, correspond au fil conducteur que je suis après The stranger de Welles. En effet, la ville de Trieste a été le siège de crimes contre l'humanité à la fin de la guerre et c'est là un point que j'ai souhaité traiter dans cette partie du Dossier Film Noir.

Trieste



 Le village de pêcheurs transformé par les romains en une ville portuaire en garde encore les vestiges sur la colline de San Giusto.

Ce qui profite à la scène la plus spectaculaire de poursuite du film.





Kells poursuivi par les agents soviétiques





Le voyage de Mike Kells entre Salzbourg et Trieste rappelle la domination autrichienne, à l'origine de la construction de la voie ferrée Vienne -Trieste (une image de tunnel y fait référence). Une domination qui remonte à l'empire romain germanique, lorsque Charles VI fit de son unique débouché maritime un port franc.



Camp de Risiera di San Sabba
 La conséquence majeure de la première guerre mondiale est, pour Trieste, une crise économique alors qu'elle a rejoint l'Italie. C'est la ville qui contribue le plus, dès 1922, à la naissance du parti fasciste italien. De là son implication dans la seconde guerre mondiale à côté des Allemands, lorsque l'Italie rejoint les alliés occidentaux en 1943: Trieste devient la capitale d'une province administrée par les Allemands, Adriatische Küstenland où ils ouvrent un camps de transit vers l'Allemagne. C'est le camp de la Risiera di San Sabba, où vont passer des milliers de résistants italiens, de juifs et de slaves sera plus tard transformé en camp d'extermination. La défaite de l'Allemagne incite les communistes de l'armée yougoslave, partisans de Tito, à occuper Trieste et se heurtent à l'arrivée des troupes alliées. Les yougoslaves vont, pendant 40 jours, créer un climat de terreur en assassinant un grand nombre d'anciens fascistes –mais aussi des antifascistes –utilisant le camp de Risiera di San Sabba de sinistre mémoire et les grottes "foibe" de la région.

Lorsque Mike Kells survole pour la premi+ere fois Trieste accompagné par un militaire, ce dernier (Karl Malden) lui explique la situation: «C'est amusant Ce que Lisbonne et Istanbul furent lors de la première guerre mondiale, Trieste l'est dans celle-ci. Espions et contre-espions, titistes et anti-titistes, stalinistes et anti-stalinistes plus 10 000 soldats britanniques et américains essayant d'enseigner la fraternité entre italiens et yougoslaves, plus de mouvement que dans un cirque». Un tel discours, typique de l'arrogance des armées d'occupation, a ici sa raison d'être.







Diplomatic Courier est tourné à une époque où la province de Trieste est "Territoire Libre" sous contrôle de la ONU depuis 1947 et coupée en deux zones: la zone A, anglo-américaine englobe la ville de Trieste et les villages environnants, la zone B, yougoslave, plus étendue et moins peuplée, et que les italiens (plus de 40 000) vont quitter pour rejoindre la zone A pendant les années suivantes.
Ce n'est qu'en 1977 que la zone A rejoint l'Italie. La zone B, l'Istrie, est aujourd'hui partagée entre la Slovénie et la Croatie. La fragmentation de l'Europe que nous vivons atteint même les provinces frontalières.







L'équipe du film
Le metteur en scène de Diplomatic Courier, Henry Hathaway, a la réputation d'être l'un des premiers à travailler en extérieurs. Ce film se situe dans sa filmographie entre deux films noirs: Kiss of Death (1947) y Niágara (1953). Cependant, l'ambiance de postguerre à la frontière entre l'Italie et la Yougoslavie, l'action et les excellentes images de Lucien Ballard nous amènent à choisir Diplomatic Courier dans le Dossier FILM NOIR.


Nous avons rencontré les images de Lucien Ballard comme directeur de photographie dans Berlin Express, mais il avait travaillé auparavant dans un film que nous ne manquerons pas de traiter: Laura (Otto Preminger-1944) bien que non crédité. Nous le verrons aussi dans The killer (Stanley Kubrick-1956). Ses images des rues de Trieste de nuit accentuent l'atmosphère de film noir





La musique de Sol Kaplan jette un clin d'œil à The third man (Le troisième homme) amplement justifié pour l'atmosphère de Trieste et Vienne à cette époque et aussi pour l'histoire de l'actrice principale comme nous le verrons plus tard. Sol Kaplan avait travaillé un an avant avec Hathaway et Tyrone Power dans le western Rawhide (L'attaque de la malle poste).

Le scénario est inspiré de Sinister Errand, un roman de l'écrivain britannique de série noire Peter Cheyney. Ce roman appartient á une collection de huit "Livres noirs" (Dark books) et il est le seul à ne pas avoir le mot Dark dans son titre. Peter Cheyney est connu pour être le père de deux héros célèbres: Lemmy Caution (les films d'Eddie Constantine en France) et Slim Callaghan qui sera interprété par Michael Rennie dans Uneasy Terms (de Vernon Sewell-1948). Le personnage de Mike Kells qu'interprète Tyrone Power dans Diplomatic Courier , a été crée par Peter Cheyney en 1945 avec Sinister Errand, Il l'utilisera en 1951 dans un autre roman, : Ladies Won't Waat .

Je n'ai pas lu le roman de Cheyney comme ont pu le faire certaines critiques de l'époque pour qui les scénaristes, dont  Casey Robinson aussi producteur du film, ne traduisent pas la force de caractère de tous les personnages: «Ils ont réuni un impressionnant ensemble d'évènements mélodramatiques comme un assassinat mystérieux dans un train, une agression à Trieste, un double jeu et, bien entendu, une poursuite pour créer le climax . Dans ces situations, Mike Kells agit comme un idiot"» (New York Times)

Loin de partager cet avis, voir Diplomatic Courier a été pour moi un vrai régal. Bien que j'ai toujours identifié Tyrone Power à Zorro, peu expressif dans d'autres interprétations non masquées, il m'a surpirs ici dans une interprétation originale: flegmatique, distrait, voire perdu dans son rôle de fonctionnaire d'ambassade pris dans une histoire de services secrets, il dégage un certain charme. Aussi bien Patricia Neal que Hildegard Knef, mais surtout Karl Malden que nous avons apprécié dans I confess récemment, sont excellents. La surprise du casting ce sont l



le policier militaire soupçonneux Lee Marvin


et l'agent russe qui a un bon direct, Charles Bronson,
tous deux acteurs de TV non crédités, ni dans ce film, jusqu'à cette année-là.





A suivre...
avec Apparences

"Diplomatic Courier" (H.Hathaway)-Apparences

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SEMPER PROJECT

Services de décryptage à Washington

En Avril 1950, une note d'un agent secret à Bucarest conduit le Département d'Etat des Etats-Unis à demander un "courrier diplomatique" de confiance en Europe pour contacter cet agent. Le courrier prévu étant malade, il sera remplacé par Mike Kells (Tyrone Power) qui vient d'arriver à Paris. D'apparence flegmatique mais en réalité plutôt maladroit, blagueur mais assez vieux jeu, pas du tout familiarisé par les pratiques des services secrets, Kells est en fait un fonctionnaire d'ambassade poli,non fumeur, qui note tout et a besoin de deux montres.

Le correspondant de Bucarest, Sam Carew, a été un ancien compagnon de Kells pendant la guerre. Il se sait surveillé par les services secrets russes et fuit Kells à la gare de Salsbourg puis dans le train qui les amène à Trieste. Une femme mystérieuse semble avoir un contact avec Sam. Ce dernier est assassiné pendant le trajet. La séquence est mouvementée dés l'arrivée à la gare de Salsbourg. L'apparition successive de Sam, les deux agents soviétiques, la femme (Hildegard Knef-Janine) dans les couloirs du train ou au restaurant crée un climat d'attente jusqu'à l'entrée dans le tunnel, quand a lieu l'assassinat de Sam.

Dans le couloir du train, panne de courant:
de bonnes photos de Lucien Ballard

Mon intérêt pour cette séquence, au-delà de son suspense créé par l'attente et de sa photo d'ombres et lumières, se porte sur la scène où Mike Kells se retrouve attablé devant Janine dans le wagon-restaurant. Voilà que le souvenir de North by Northwest (La mort aux trousses) tourné six ans plus tard, en 1959, me revient.




Rien d'exceptionnel dans le hasard de la similitude d'images plutôt classiques si ce n'est que le glamour du film d' Hitchcock (qui en fait une valeur commerciale si appréciée par le producteur qu'il était)  l'éloigne de toute entrée dans le monde du Film Noir.



 La curiosité se trouve dans les plans suivants qui confirment la similitude:  le train s'arrête et en descendent deux hommes dans notre film tandis que, dans celui de Hitchcock, deux hommes y montent.



Un jeu d'espions pour un document


 Kells n'a pu obtenir le document de Semper Project et Carew est mort.

Le rôle de Janine devient capital maintenant

Mais Janine ferait-elle partie des services secrets soviétiques?


 Serait-elle, comme le dit Karl Malden, de la dynamite dans une jolie cartouche? Ou alors, comme elle l'assure, la maîtresse de Carew qui lui avait promis de l'amener aux Etats-Unis? Nous fait-elle le coup d'Alida Valli qui cherche désespérée un passeport à Vienne dans Le troisième homme, ou utilise-t-elle cet argument pour mettre Kells en confiance, pensant qu'il a le document?

Ment-elle lorsqu'elle dit qu'elle ne sait rien
 de ce document ou de Semper Project?
L'élégante Joan Cross (Patricia Neal),
veuve d'un consul américain –encore un diplomate –
aime-t-elle réellement Kells...
...l'a-t-il mise en danger?

 ...ou cherche-t-elle à le doubler? Ce que nous révèle le colonel américain en contact avec les services secrets c'est que le document contient les détails de l'invasion programmée de la Yougoslavie par l'URSS. Le colonel va donc utilisé Kells comme appât auprès de Janine et des russes Mais la stratégie du colonel expérimenté aura-t-elle plus de succès que les intuitions de Kells, "pigeon voyageur bichonné par ses supérieurs" comme ironise le colonel? Ce qui est certain, c'est que ce dernier est toujours prêt à sacrifier la vie de quelques tchèques ou fonctionnaires d'ambassades, comme Kells,  pour sauver le monde.  
C'est là le réflexe "humaniste" qui fonde les occupations militaires de tous bords dont le Quartier Général des forces armées s'installe confortablement –comme ici, dans «le Château Miramar que construisit l'empereur Maximilien pour Charlotte», précise Joan à Mike Kells.
Pendant ce temps, dans les cafés, la population occupée par ces armées ne perd pas son humour. Comme le démontre le présentateur dans le bar de travestis, se dirigeant à l'américain Kells attablé: «je suis satisfait de notre politique de bon voisinage et, à propos de bons voisins, voici…Bette Davis!».


...Le film noir et d'espionnage continue avec Five Fingers
(Opération Ciceron) de Joseph Mankiewicz.