"The stranger": la chute de l'ange

Cette page appartient au Gros Plan sur THE STRANGER de Orson Welles

«…Et Jacob resta seul. Quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. Il dit : Lâche-moi, car l'aurore est levée, mais Jacob répondit : Je ne te lâcherai pas…»  Genèse 32:28


La chute de l'ange
Face à Edward G.Robinson/Wilson, Welles/Radkin-Kindler apporte une grande crédibilité à son personnage de nazi réfugié sous une fausse identité dans une petite ville du Connecticut, Harper. Devenu professeur d’histoire dans un lycée, Charles Rankin, citoyen américain, a réussi à faire oublier Franz Kindler. Mais il est sur ses gardes avec  sa femme ou même ses élèves. Il devient une bête traquée lorsqu'il comprend que Meineke est un appât. Il n'a pas perdu les réflexes du nazi: effacer les traces (le meurtre de Meineke), avoir un double jeu face à l'ennemi (le repas), se couvrir encore lorsque tout est perdu ("je n'ai fait que mon devoir… j'ai accompli les ordres"), utiliser tous les trucs possibles: "trucs, c'est tout ce que vous savez.. Herr Kindler" lui dit Wilson quand il le démasque. Mais il se trahit plusieurs fois: sur Marx, sur le mot "annihilation" (anéantissement)… puis sur Noah, ce qui l'amène à avouer à Mary, à cracher son venin sur ceux qui lui ont fait confiance: tout n'est que calcul, effacer l'identité, pratiquer le simulacre, remettre en marche la machine de mort S'il joue sa survie, il s'y prend mal en montant sur le haut du clocher, sinon pour voir les humains comme des fourmis et entraîner Mary dans la mort. Mais ce n'est pas Kindler qui monte au clocher, c'est Welles qui nous a réservé le spectacle final: la lutte avec l'ange Mais il n'est pas Jacob et ne sera pas "Israel" celui qui lutte avec Dieu. Il est celui qui entraîne l'ange dans sa chute.



Analyse de séquences

Commission alliée des crimes de guerre
Dans la réalité, la Commission des Nations unies sur les crimes de guerre (UNWCC), composée de quatorze nations dirigée à cette époque par un anglais, n’était pas en position de force Elle enquêtait sur les crimes de guerre et recueillir des preuves et des témoignages, mais elle n’avait pas de personnel affecté à ces enquêtes.

Dans le film, c'est le membre américain de la Commission, Mr. Wilson (Edward G. Robinson), qui essaie de faire admettre à ses collègues la nécessité de relâcher Meinike, un ancien adjoint de Franz Kindler et qui pourrait le mener à lui. Kindler est présenté dans le film comme étant celui qui « a conçu la théorie du génocide des populations des pays vaincus ». Kindler «avait la passion de l’anonymat. Les journaux n’ont aucune photo de lui. Avant qu’il ne disparaisse, il a détruit toutes les preuves le reliant à son passé, jusqu’à la dernière de ses empreintes digitales».. Tous les alliés de la Commission semblent refuser la prise d’un tel risque – en particulier le conseiller français, mettant en avant la responsabilité qui leur incomberait en cas d’échec.


-Laissez-le sortir dit Wilson

Mais…s'oppose le représentant français…

-Cette ordure doit être détruite conclut Wilson
en martelant la table avec sa pipe qu'il finit par briser. Cette pipe qui le fera reconnaître…






Konrad Meineke, premier appât
L'Amérique du Sud: film noir
Meinike, qui attend son exécution en Tchécoslovaquie, est libéré et suivi. Il part pour l'Amérique du Sud en bateau. Le public comprend pourquoi si il sait que beaucoup de nazis se sont réfugiés là. Notorious (Les enchaînés- Hitchcock) leur en donne la confirmation quelques mois plus tard.
C'est là que l'on perd une partie du talent de Welles il manquerait près de 20 mn de film sur la recherche de Meinike/Polaski qui dit voyager pour motifs de santé! Pourtant les images promettaient!



Suivi par la femme du correspondant de Robinson, Polaski contacte le photographe ancien nazi aussi, de la part du "Haut commandement" pour rencontrer Franz Kindler. Celui-ci a été déclaré mort –incinéré. La note qui concerne Kindler le situe aux EEUU à Harper (Connecticut).






Meineke retrouve celui qui le conduira à Harper où vit Kindler



-Harper-



Harper construit en studio

Welles décrit la petite ville provinciale, ses rideaux aux fenêtres (qui auront leur rôle), l'église, son clocher arrêté (qui va bientôt marquer le rythme puis le climax du film), le point de rencontre chez Potter et ses potins, les étudiants empruntés devant le prof, l'ambiance bourgeoise et conservatrice chez le juge, Mary qui parle de l'accent des étrangers…








Potter, le barman qui écoute une émission radio et rie tout le temps essaie de tricher au jeu de Dames. Dans le bar de Potter où l'on se sert seul, et où l'on ne prend que le café noir -chacun cherche à savoir: d'où il vient. L'Horloge: c'est Noah, le frère de Mary, qui la nettoie et Radkin/Kindler qui l'entretient
Il y a aussi le Todd/Harper School for Boys (Todd était celui d Welles jeune) Wilson suit Meineke dans l'école où ce dernier essaie de le tuer, dans le gymnase: là encore, l'image du film noir a toute sa force et il n'y manque …ni la pipe, ...



ni la corde que Meineke lance pour tuer Wilson,



...ni le fondu enchaîné, et 'humour de Roskie, l'entraîneur du gymnase





-Près du cimetière juif
                                                                        

Radkin/Kindler demande a Meineke de le retrouver plus loin, inquiet


-les étudiants jouent à chasser l'un d'eux près du cimetière juif, et proposent à Radkin/Kindler de le substituer pour perdre du poids -ou sinon ils le chasseront plus tard!!








Meineke dans les bras de Kindler
Kindler embrasse Meineke

- Radkin/Kindler: je suis un autre homme, j'ai détruit toutes les preuves en Allemagne et en Pologne qui pourraient m'identifier -cynisme sur son mariage le même jour avec la fille d'un juge du Suprême: le camouflage est parfait. Il y aura une autre guerre, bien entendu.
Mais Mieneke se présente en sauveur d'âmes: toutes les portes m'ont été ouvertes -Miracle -j'ai été suivi par le démon(Wilson), l'homme à la pipe, je l'ai tué…Il demande à Radkin/Kindler de s'agenouiller, de demander pardon pour ses péchés - Radkin/Kindler l'étrangle, suivi immédiatement du "ne le laissez pas échapper" des jeunes qui jouent à chasser l'un d'eux - Radkin/Kindler cherche à effacer les empreintes sur le chemin …



Le repas

Wilson s'introduit dans la famille de Mary par son hobby sur les montres anciennes qu'il semble partager avec Radkin/Kindler
A table, Wilson est démasqué par Radkin/Kindler. Parlant de la situation mondiale et de la situation en Europe de postguerre, le juge fait état de ce que le correspondant du Times à Berlin, Standish, rapporte, ce qui n'est pas loin de ce que Tourneur décrit dans Berlin Express sur les mouvements nazis dans des terriers, qui cherchent à se redéployer.
-Que pense un historien objectif de l'Allemagne ?  demande Wilson
-Ce n'est pas l'historien qui devrait parler, mais un psychiatre, répond Radkin/Kindler. C'est alors le terrible réquisitoire de Radkin/Kindler contre les allemands pour donner le change à Wilson:



«L'allemand se considère la victime innocente de la haine du monde et d'une conspiration croissante organisée par des peuples inférieurs, des nations inférieures… Il ne reconnaît pas ses erreurs… il suit encore ses dieux guerriers et marche au rythme de la musique wagnérienne, les yeux fixés sur l'épée de Siegfried. Dans ces terriers auxquels vous ne croyez pas, le rêve allemand est en train de prendre vie, va occupant sa place dans son armure et sous l'étendard des chevaliers teutons. L'humanité attend le messie, mais pour eux le messie n'est pas le prince de la paix, sinon un autre Barberousse, un autre Hitler»


Après son discours antiallemand, et sa réponse négative à la question sur la croyance aux réformes menées en Allemagne,
«La démocratie n'a jamais pris racine en Allemagne, ni jamais le fera»

Radkin/Kindler se trahit avec la question posée par Noah sur Marx (prolétaires de tous les pays unissez-vous):
«Marx n'est pas allemand, il est juif» dit rapidement avec un ton de rejet - et sur la question du juge sur la solution pour l'Allemagne: «l'anéantissement …».

Pour Wilson, il s'est trahit: «qui, sinon un nazi, peut nier que Marx était allemand parce qu'il était juif?». Il convient de noter, qu'à cette époque –et probablement de nos jours encore pour bien des individus –pas seulement les nazis pensaient ainsi, et Wilson aurait pu conclure que Charles Radkin était antisémite, s'il n'avait d'autres preuves comme l'agression de Meineke contre lui.



Le second appât: Mary

La ficelle est grosse lorsqu'il emmène Red se promener là où il a enterré Meineke -si Wilson pense un moment à son innocence, cela ne dure pas… à cause de Marx - Et Mary a des doutes depuis la visite de Meineke.

dans mon rêve, Meineke projette une ombre qui s'étend lorsqu'il disparaît


- Wilson informe Noah pour protéger Mary - Radkin/Kindler se sait pris dans la trame de Wilson, il pressionne Mary, la domine. Devant la présentation des images des camps par Wilson et devant son père, le juge,


elle défend Radkin/Kindler, nie la rencontre entre Mieneke et Radkin/Kindler -celui-ci fuira-t-il, lui fera-t-il confiance-la tuera-t-il-Elle, après les révélations sur les chambres à gaz, Mary va vivre une crise, un conflit dans son choix entre le défendre ou reconnaître sa rencontre avec Meineke dit Wilson, spécialiste de la chasse aux nazis-il n'y a pas de surprise mais un suspense, une attente quant à l'action -contrairement à ce que certains critique reprochent à cette seconde partie du film.
-l'ange peut enfin sortir de la montre du clocher que Radkin/Kindler a réparé-


Mary et Radkin/Kindler décident les deux de s'affronter à tous-"sa vie est en danger" dit le juge à Sarah, l'employée de maison de Radkin/Kindler et Mary




...pendant que Radkin/Kindler scie l'échelle du clocher. Une ficelle trop grosse mais bien dans l'esprit du film noir de l'époque. Welles s'amuse à faire peur.







Il fera entrer l'invraisemblable, comme avec le "rosebud" que personne n'a jamais pu entendre dans Citizen Kane: ici ce sont les rideaux que Wilson n'a pas pu voir, la lumière qui continue de clignoter quand la bobine sur les camps s'arrête, la svastika dessinée à l'envers par un chef nazi…

Comment empêcher Mary de rejoindre Radkin/Kindler qui l'envoie à la mort avec le coup de l'échelle -le suspense augmente avec Wilson qui va au clocher, Radkin/Kindler qui joue tranquillement aux dames avec Potter…mais Welles nous montre le plan détaillé de Radkin/Kindler, il joue avec le suspense, nous donne un temps d'avance sur Mary et Wilson -il fait du Welles à la Hitchcock.
En fait, Radkin/Kindler fait de Potter son alibi -Bien sûr il gagne à Potter aux dames, brûle ses notes du plan qu'il avait préparé et rentre à la maison où il ne s'attend pas à la revoir vivante (elle apparaît comme une ombre-maganifique film noir!)


-nouvelle ficelle: il se trahit en disant que Noah peut s'être tué dans l'escalier du clocher -elle comprend tout -le climax est atteint quand elle lui dit de la tuer, qu'il fuit que Noah entre et qu'elle s'évanouit -Le son des cloches et la photo du clocher et du passage de l'ange ponctue la séquence tandis que les violons s'emballent -Wilson prévient la police-


Mary décide d'aller au clocher, de le tuer.




 -autre ficelle? Wilson tombe dans l'escalier - Radkin/Kindler et Mary ont une conversation après l'avoir aidée à monter l¡escalier (on ne sait pas comment Wilson montera cet escalier scié plus tard pour la scène finale: elle dit qu'elle veut le tuer, il lui dit qu'elle va mourir- Wilson entre: "plus de trucs"-elle blesse Radkin/Kindler -Il tombe hors du clocher-



l'ange le transperce- il pousse l'ange dans le vide avant de tomber lui-même.

"THE STRANGER" (Orson Welles)

Le Gros Plan que nous présentons ici sur le film de Orson Welles, The stranger (Le criminel) sera, une fois achevé,  incorporé au Dossier FILM NOIR.




The stranger (ou Date with Destiny- en France: Le Criminel- Orson Welles-1946) raconte la recherche, par la Commission sur les crimes de guerre, de Franz Kindler (interprété par Welles), cerveau de la machine génocidaire nazie, transformé en un respectable professeur d'Histoire, Charles Radkin, dans une petite ville du Connecticut, Etats-Unis et marié à la fille d'un juge du Tribunal Suprême. L'utilisation d'un appât en la personne d'un de ses acolytes, Meineke, libéré pour l'occasion, mais bien sûr suivi par un responsable de la Commission, Wilson (Edward G. Robinson), va permettre de localiser Kindler et de refermer progressivement l'étau sur lui.


Considéré comme le premier film de fiction qui montre des camps  d'extermination mis en place par l'Allemagne, The stranger eut un accueil favorable à sa sorte en salle et la nomination aux Oscars pour le meilleur scénario original (de Victor Trivas et probablement John Huston, co-auteur du scénario, qui n'est pas crédité au générique). Il a reçu le Lion d'or 1947 au Festival de Venise. Pourtant, le film est au niveau 95% du site Rotten Tomatoes et semblerait avoir été renié par Welles, C'est loin d'être mon avis: The stranger est un film engagé, politique et doublement noir: pour le traitement de l'image, l'atmosphère et le rythme–on retrouvera quelques scènes au début du film dans The Lady from Shanghai – et par le sujet.

Six ans avant The stranger, l'acteur Edward G.Robinson avait joué dans le premier film de propagande ouvertement anti-nazi produit par Hollywood: Confessions of a Nazi spy (Les aveux d'un espion nazi)de Anatole Litvak (voir CINEASTES DANS LES CAMPS) aux côtés de James Stephenson que nous retrouverons dans The letter (William Wyler-1940) aux côtés de Bette Davis dans nôtre Dossier FILM NOIR.

Huit ans après The stranger, sur le même thème, notons le film The juggler (Le jongleur de Edward Dmytryk-Produit par Stanley Kramer) avec Kirk Douglas (de son vrai nom Issur Danielovitch, fils d'émigrants de Bielorussie) dans le rôle d'un survivant des camps de concentration qui débarque à Haïfa en 1949.


L'ouverture de ce dossier est due au fait que, au-delà de son caractère de film noir, comme le seront par la suite The lady from Shaghai et Touch of evil dans la filmographie de Welles, ce film contient un dialogue et des images qui, en 1946 comme de nos jours, ont une force incontestable quant à la condition humaine. C'est là le grand mérite de Welles que de mettre toujours à nu dans son œuvre son engagement pour la justice et la liberté et contre les pouvoirs de domination.

Le Blog Prétextes essaie dans ce dossier:
-d'apporter quelques éléments sur sa préparation et sa réalisation principalement dans son aspect documentaire, après la parution d'images et de films d'archives sur les camps,

-de donner une analyse détaillée du film, en particulier quant aux discours que tiennent Franz Kindler ( Orson Welles) et le responsable de la Commission sur les crimes de guerre Wilson (Edward G.Robinson) et la stratégie que va employer ce dernier pour arriver à la capture du responsable nazi.

-de faire ressortir les aspects du film en relation avec le film noir, mais aussi de revenir sur les qualités… et défauts (?) qui ont fait l'objet de critiques et de réflexions.


Franz Kindler près du cimetière juif à Harper (Connecticut)

Dossier THE STRANGER
Liens
Dans ce Blog- Gros Plan sur: CINEASTES DANS LES CAMPS
(le détail de ce Dossier est donné en espagnol dans mon blog memento: CINEASTAS EN LOS CAMPOS)
Revue Les cahiers de la Shoah
Les camps nazis: actualité, documentaires, fiction

"The stranger": Vérité et apparences

Cette page appartient au Gros Plan sur The stranger de Orson Welles

The stranger fut semble-t-il renié par Welles: «Il n'y a rien de moi dans The Stranger (...). Je l'ai tourné pour montrer à l'industrie que je pouvais tourner un film standard hollywoodien, dans les limites du temps et du budget, et être un aussi bon réalisateur que n'importe qui d'autre», aurait dit Welles selon le journaliste Frank Brady dans son livre "Citizen Welles".

Il est certain que l'imposition du scénario, du casting, et même des techniciens, par la production ne peut être du goût de Welles, même si ce contrat lui ouvre de nouveau les portes des studios hollywoodiens… pour peu de temps. Autre contrariété pour Welles: le sujet lui-même ne lui permet certainement pas de jouer avec sa fameuse histoire de la grenouille et du scorpion.

 
La grenouille et le scorpion
Dans son entretien avec André Bazin, Welles dit que la grenouille est l'animal véridique, elle croit aux pactes et contrats. C'est Vargas (Charlton Heston) dans Touch of evil (La soif du mal) face au scorpion Quinlan (interprété par Welles). La grenouille et le scorpion, l'animal malade de lui-même, ne sont, pour Welles, que des "partenaires fluctuants". Celui qui juge de «son propre chef» n'est pas moins détestable que celui qui juge au nom de valeurs supérieures, au nom d'une «morale aristocratique» dit Welles qui reconnaît l'ambiguïté de ses propos lorsqu'il rajoute finalement qu'il vaut mieux juger au nom de ces valeurs dites supérieures. De toutes façons, son discours met en évidence la complémentarité de ces deux figures de la vengeance: celui qui juge la vie du point de vue de valeurs morales et celui qui juge la vie du point de vue de sa pathologie.

Gilles Deleuze signale dans "Image-temps", que ce qui compte vraiment chez Welles est ce qu'il appelle "the character", ce pouvoir d'affecter ou d'être affecté, cette "volonté de puissance" nietzschéenne. Il faut reconnaître à Welles le talent pour peindre ces personnages "malades de la vie même", comme disait Nietzsche. Selon Deleuze, Welles postule qu'il n'y a pas de valeur supérieure à la vie, que la vie n'a pas à être jugée, qu'elle est "l'innocence du devenir" par delà le bien et le mal. La dégénérescence pathologique chez Franz Kindler, elle, ne permet aucun jeu quant au jugement car c'est du destin de l'humanité qu'il s'agit. Si le responsable de la Commission sur les Crimes de Guerre,Wilson, est la grenouille de The stranger, le scorpion Kindler n'est certainement pas un "partenaire fluctuant"

Franz Kindler, personnage "languien"?
Dans l'analyse que donne Deleuze de cette représentation du jugement, si Welles peut répudier The stranger , le film ne le serait probablement pas par Fritz Lang. On peut effectivement reconnaître au créateur de M le maudit, dans la vision expressionniste de la lutte du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres, sa capacité pour changer les données sur le jugement en faisant du mal une dimension humaine et non faustienne.
Citons Deleuze: «les grands moments chez Lang sont ceux où un personnage se trahit. Les apparences se trahissent, non pas parce qu'elles feraient place à une vérité plus profonde, mais seulement parce qu'elles se révèlent elles-mêmes comme non-vraies. Dans ces conditions, il reste possible de faire surgir de nouvelles apparences sous le rapporte desquelles les premières seront jugeables et jugées. .. Le jugement exprime … le rapport sous lequel les apparences ont une chance de se retourner au profit d'un individu ou d'une humanité de plus haute valeur… Le jugement ne peut plus s'exercer directement dans l'image mais passe du côté du spectateur auquel on donne les conditions de possibilité de juger l'image elle-même…».


Là où l'on peut ne pas être d'accord avec Deleuze est quand il rajoute ici que Welles a fait, avec The stranger un film "Languien" car le personnage se trahit. Il est certain que Kindler, qui a fait de l'apparence la condition de sa survie, se trahit deux fois plutôt qu'une. Mais il est difficile de voir Fritz Lang, qui a fui le nazisme, traiter Kindler comme il le fait de Edward G. Robinson dans Scarlet Street où effectivement il laisse au spectateur le soin de juger l'image. Non, Kindler n'est pas un personnage "Langhien". Si Welles a pu se sentir limité dans la transmission de ses idées sur la vérité, le mensonge et les apparences, le personnage de Kindler est bien wellesien et le scorpion entraîne l'ange dans sa chute.
...Prochainement, un résumé du film






"The stranger": Welles et les camps

Cette page appartient au Gros Plan sur THE STRANGER de Orson Welles.

Le producteur Sam Spiegel, qui signe sous le nom de S.P Eagle jusqu'à On the waterfront (Sur les quais-1954- Elia Kazan), donc aussi The stranger, est un émigré juif polonais qui, avant de rejoindre les Etats-Unis à l'arrivée des nazis en Europe, rencontre à Londres John Huston, probablement en 1942 (voir CINEASTES DANS LES CAMPS dans mon blog memento en espagnol sur la période 1941-44). Le projet du film naît au cours de l'été 1945, donc après la projection en salles des scènes filmées lors de la libération des camps de concentration et pendant la préparation de Death Mills, supervisé par Billy Wilder, et le projet organisé par Sidney Bernstein avec la collaboration de Hitchcock qui naîtra sous le nom de Memory of the camps (voir les liens proposés dans le Gros Plan sur Cinéastes dans les camps). Spiegel travaille pour le compte de International Pictures. Le film qu'il prépare a pour titre Date with Destiny et il souhaite avoir Orson Welles comme acteur.


Préparation du film

Depuis son retour d'Amérique du Sud et de l'expérience de It's all true, inachevée (et propagandiste pour la machine de guerre des Etats-Unis qui cherchent à s'allier les pays du continent avant la guerre avec les japonais), Orson Welles ne s'est vu confier que des rôles d'acteur à Hollywood, bien que l'on sente son influence dans la direction de Journey into fear (Voyage au pays de la peur-1943- Norman Foster). Bien que Spiegel ne pense pas à lui pour la direction du film –John Huston aurait été intéressé –Welles cherche à se placer à nouveau dans le circuit hollywoodien avec une nouvelle direction. Á défaut de produire, de signer le scénario, de travailler avec son équipe de théâtre comme dans ses premiers films, Citizen Kane et The magnificent Ambersons,il accepte les conditions de contrôle que lui impose la production.

Le film prend le nom définitif de The stranger (en France: Le criminel), le scénario proposé est de Anthony Veiler, révisé par Victor Trivas. Ce dernier, d'origine russe, a réalisé ou écrit le scénario de films en France et en Allemagne. Le Festival de Cannes 2012 lui rend hommage avec une copie restaurée de Niemandsland (1931), film pacifiste dont les nazis détruiront la plupart des copies. John Huston aurait participé à l'élaboration du scénario de The stranger sans paraître dans le générique, se trouvant à cette date encore sous les drapeaux. L'équipe imposée à Welles est composite. Compte tenu des circonstances d'après guerre –et probablement du thème du film –elle est formée d'acteurs, monteur et techniciens soit qui ont participé aux prises de vues pendant la guerre, soit d'origine juive (Edward G.Robinson dont nous décrivons l'action en 1943 dans le dossier CINEASTES DANS LES CAMPS dans sa version espagnole du blog memento), soit qu'ils sont engagés politiquement auprès du président Roosevelt) donc tous très impliqués dans une époque qui prépare le Procès de Nuremberg. Concernant les acteurs, Welles aurait semble-t-il préféré donner le rôle de membre de la Commission des Crimes de Guerre à Agnés Moorehead plutôt que Edward G.Robinson, mais il n'aura certainement pas à le regretter. Robinson, dans le personnage de Wilson, est saisissant de vérité et appuie le caractère noir du film.

Engagement d'Orson Welles

Avant le film, Welles montre un intérêt particulier pour la nature du fascisme et sur les prises de vue sur les camps de concentration (voir CINEASTE DANS LES CAMPS). Il les aura probablement vues à leur sortie en salles en 1945, avant que Billy Wilder en supervise le montage qui conduit au documentaire Death Mills. Welles publie un article où il dit qu'il convient de voir ces images comme un signe de la «putréfaction de l'âme, l'ordure parfaite de l'esprit» que représente le fascisme. Dans une colonne du New York Post, il écrit que les réformes sociales, entreprises en Allemagne dans l'après-guerre, ne peuvent érradiquer le fascisme. Les héritiers du nazisme «sont en train d'étaler le combustible en vue d'une autre conflagration».

Entre 1944 et 1945, Welles donne une série de conférences sur les thèmes suivants: "La survivance du fascisme", "La nature de l'ennemi". Selon Michael Denning, «comme beaucoup de ses contemporains, il voyait une continuité entre le fascisme européen et le fascisme domestique, entre Hitler et Hearst, les Chemises Brunes et la Black Legion». Il était un supporter de Roosevelt et utilisait ses émissions de radio pour faire la propagande des politiques progressistes contre le racisme et la ségrégation. Au moment du tournage du film Welles est informé de l'évolution de la crátion du Tribunal militaire international et de la présentation de l'acte d'accusation au procès de Nuremberg.


Les images d'archives sur les camps d'extermination

Orson Welles prend l'initiative, bien avant le procès de Nuremberg, de présenter dans le film une série d'images qui proviennent toutes des opérateurs américains présents lors de l’ouverture des camps, comme nous l'avons vu dans CINEASTES DANS LES CAMPS. Ces images sont commentées dans le film par Wilson (Edward G.Robinson) à Mary (Loretta Young) la femme de Radkin/Kindler. Elles correspondent aux camps de Buchenwald, Ohrdruf, Breen donck, Nordhausen.



Que penser de l'inscription de telles images dans un film de fiction? On connaît aujourd'hui la manipulation de l'image télévisuelle et l'on peut se montrer réticent devant une telle méthode. Cependant, dans le contexte de l'époque, l'information du public apparaît évidente, bien qu'elle sera suivie d'un longue période de silence. Les liens proposés dans le Gros Plan sur CINEASTES DANS LES CAMPS  font état de l'importance de la fiabilité de telles images, souci des Armées de libération des camps et des réalisateurs et techniciens de ces documents.  Orson Welles a déjà intégré, en les manipulant d'ailleurs, des images d'archives dans Citizen Kane. Il se prononce sur ce sujet:

«En général, je suis contre ce genre de choses, exploiter la misère, la souffrance ou la mort pour distraire. Mais dans ce cas, je pense que chaque fois que le public voit un camp de concentration, quel que soit le prétexte, c’est un pas en avant. Les gens refusent de savoir que ce genre de choses s’est réellement produit.
J’ai fait une expérience épouvantable. Je jouais dans un film médiocre, Paris brûle-t-il ? dans lequel on faisait monter des Juifs dans des wagons à bestiaux dans une gare parisienne. C’était la gare dans laquelle cela s’était vraiment produit, sans doute avec les mêmes wagons, et 60% des figurants avaient vraiment vécu cette expérience. Ils n’arrêtaient pas de remonter leurs manches et de nous montrer leur numéro tatoué. Et la plupart des Allemands étaient de vrais Allemands qui, s’ils n’avaient pas vécu cette scène, venaient malgré tout de l’armée. C’était si horrible que j’ai failli ne pas tenir la journée. Le mystère de la réalité à la Pirandello se mêlait à tout cela de façon morbide. C’était intolérable ...».

..Nous continuons ce Gros Plan sur The stranger avec "Vérité et apparences"

Blessures de guerre: "Le violent" (Nicholas Ray)

Cette page appartient au Dossier FILM NOIR





"Dixon Steele":  C'est ainsi que Humphrey Borart signe ses autographes aux jeunes qui campent devant le bar Paul où se réunissent les célébrités de Hollywood. Dixon, le scénariste si célèbre avant guerre, n'est plus le même. Qu'a-t-il vécu durant cette guerre? Quelles blessures saignent encore en lui? Nous ne le saurons jamais. Il n'est plus le même…
Un an avant le tournage de In a lonely place (Le violent-1950-Nicholas Ray), Bogart avait créé sa propre société de production, Santana Pictures, avec justement un film noir de Nicholas Ray, Knock on Any Door (Les ruelles du malheur). Cette indépendance de la Warner Bros lui permet d'aborder des rôles plus dramatiques et In a lonely place  en est la démonstration. Dix, le personnage de Bogart, n'est plus le Rick de Casablanca, tourmenté et blessé par l'amour perdu mais généreux et plein de sang-froid quand il s'agit d'aider la résistance française pendant la guerre contre les nazis. Dix en est l'opposé, "la guerre l'aurait détruit" disent ses amis.

Bogart, son agent et quelques amis au Bar Paul


Célèbre scénariste de FILM NOIR dans le passé, ex officier de l'armée américaine si apprécié de ses subordonnés pendant la guerre (d'après l'un d'eux, le policier Nicolai qui mène l'enquête). Voilà Dix à court d'imagination, grincheux, irritable, violent parfois avec ceux qui le provoquent ou manquent de respect à ses vieux amis.

Ces derniers gravitent autour de Dix,  pris dans sa souffrance du processus créatif, avec affection et compréhension. Nicholas Ray met en scène des personnages sous tension, dans le milieu du cinéma qu'il décrit avec une force de réalisme dans les relations entre différents représentants de l'industrie cinématographique, mais avec aussi une qualité humaine que l'on retrouve dans la relation amoureuse des protagonistes –On remarquera que, la même année, Billy Wilder tourne Sunset Bvd et Mankiewicz All about Eve.
Voilà un film qui met en abîme le film noir. Autour du thème de l'assassinat traité de façon classique, avec


photos de la victime,


suspects,

détective, bureau du commissaire,

scènes de nuit en voiture,

le piano de Hadda Brooks, etc…,
Nicholas Ray développe un film plus profond. Bogart interprète Dix avec une force inouïe de vérité. Gloria Grahame lui donne la réplique dans une interprétation de la femme amoureuse qui sait marquer son territoire. Sa présence envoûtante, en touches étonnamment modernes, nous permet ainsi d'oublier la pâle Joan Fontaine prise par ses Soupçons hitchcockiens. Le couple Grahame-Bogart, deux icones du Film Noir, donne au film son côté glamour.


Tous les acteurs sont au service d'un dialogue et d'une représentation du quotidien qui respire l'affect entre les êtres et, par contraste, met en valeur l'atmosphère de film noir créée par le soupçon envers Bogart de ceux qui l'aiment. C'est là que Nicholas Ray réussit un coup de maître en nous faisant sentir sa propre présence dans la complicité de jeu d'un groupe d'acteurs qui nous offrent le film du film noir.


Une anecdote sur le jeu de Bogart: la scène finale ou il comprend qu'il n'y a plus d'espoir avec Gloria, cet appui contre le chambranle de la porte de la chambre puis ces quelques pas chancelants pour s'appuyer sur la table: Tony Ray, fils de Nicholas Ray, reprendra ces gestes dans une scène de séparation à la fin de Shadows de John Cassavetes et épousera quelques mois plus tard Gloria Grahame… qui fut la femme de son père jusqu'au tournage de In a lonely place..


Tony Ray dans Shadows de Cassavetes



L'euronationalisme allemand vu par Ulrich Beck

Dans un article publié dans Le Monde 27 décembre 2011, le sociologue et philosophe Ulrich Beck nous rappelle que la crise grecque a fait apparaître «une réalité cachée, l'envers du décor: celui qui dans cette Europe si fière de sa démocratie, veut la pratiquer, devient une menace pour l'Europe! Papandréou se vit contraint de renoncer à la démocratie».

Les élections dans les pays fortement endettés ont permis de mettre en place des régimes qui se soumettront parfaitement à la nouvelle règle du jeu et au diktat des plus forts. Beck rejoint ainsi la critique que fait Habermas à ce qu'il appelle la post-démocratie.

Il ne s'agit plus en fait de savoir quelle Europe nous voulons. Ulrich Beck dit que «il semble qu'il soit trop tard, au moins pour les grecs, les italiens et les espagnols…Les plans d'économie se sont révélés suicidaires pour les dirigeants des Etats endettés qui ont du céder leur place. Ce fut tout d'abord le cas en Irlande et au Portugal, puis en Grèce, en Italie et en Espagne». Cela signifierait que ces pays seront placés sous tutelle progressivement. Ulrich Beck fait l'hypothèse suivante: «C'est une nouvelle logique de pouvoir qui émerge… le pouvoir obéit à une logique d'empire, non pas militaire mais économique, qui établit une différence entre pays débiteurs et pays créanciers… Son fondement idéologique est ce que j'aimerai appeler l'euronationalisme allemand, soit une version européenne du nationalisme du deutschemark». Ainsi, dans l'empire du marché globalisé dont nous avons traité dans Dossier LES RÉGLES DU JEU, l'Europe devient la propriété d'un "sous-empire euronationaliste allemand"

Il convient de souligner cette forte phrase de Beck: «C'est pourquoi il est absurde de parler de "IV ème Reich"» soulignant ainsi que l'on est dans la prolongation du III ème Reich et que la culture allemande a, par rapport aux autres pays européens une force d'attraction et, actuellement, un pouvoir de sanction. Dans un mélange de «rigueur protestante et de calcul européen» est en train de s'ériger un euronationalisme allemand «en ligne directrice d'interventions politico-économiques dans les pays de la zone euro qui ont péché. Il ne s'agit rien moins que de civiliser un Sud trop dépensier, au nom… de l'Europe».

La devise de ce sous-empire est: «notre politique est d'autant plus allemande qu'elle est européenne». Beck illustre son hypothèse par cette comparaison ironique: un tel empire euronational allemand se présente comme une variante européenne de l'Union soviétique, «une Europe des apparatchiks avec un Politburo à Bruxelles ou à Berlin». Son économie est planifiée et centralisée pour réduire la dette. Son application est confiée, selon les mots de Angéla Merkel, à des commissaires sur la base de «mécanismes de sanctions». C'est une dépossession de la démocratie des pays affaiblis par la crise économique qui se met en marche, «une Europe qui existe bel et bien sans Européens».

Rejoignant ainsi les indignés de tous pays, Beck appelle à une démocratie directe. Il. prône une «société civile européenne, un engagement civique européen… une nouvelle Assemblée constituante… une "Communauté Européenne des démocraties" avec un partage de la souveraineté qui démultiplie le pouvoir et la démocratie». Avons-nous les moyens de créer ce que Ulrich Beck, comme tant d'autres, appelle une Europe des citoyens? Les moyens? Disposant de l'outil que j'utilise en ce moment ainsi que le lecteur éventuel, ne pourrait-on mettre en marche cette assemblée constituante qui, crise ou non, serait le point de départ d'un projet citoyen qui nous a été volé lors de la création de l'Union Européenne? Ne pourrait-on pas organiser une plateforme des citoyens européens riche de millions d'individus qui redessinent un projet politique et économique qui prenne en compte les fortes leçons de l'histoire et la géographie de ce continent? Va-t-on continuer à nous soumettre aux RÈGLES DU JEU que des pouvoirs de plus en plus éloignés du citoyen –qui ne sert qu'à donner son vote –ont établi dans le cadre d'un empire du marché globalisé que ce Blog n'a jamais cessé de dénoncer?

Cinéastes dans les camps

Des metteurs en scène, parmi les plus importants de Grande Bretagne et des Etats-Unis, -et très probablement de l'ex-URSS, bien que je n'ai pas fait de recherches sur ce point- participent, avec leur expérience professionnelle et leur sensibilité artisitque, à la deuxième Guerre Mondiale en Europe, Afrique et Asie. La libération, en Avril 1945, des camps d'extermination alemands dans différents endroits d'Europe, donne lieu à des dcuments filmés et photographiques. Les reportages doivens se faire rapidement étant données la nécessité d'évacuer rapidement les victimes encore en vie et les conditions déplorables d'hygiène qui règnent dans ces camps.

Je regroupe dans mon Blog memento (en espagnol) quelques informations sur ce thème sur lequel je me suis penché dans l'analyse en cours sur le film de Orson Welles "Le criminel" dont je rendrais compte dans le Dossier FILM NOIR. En effet, "Le criminel" est le premier film de fiction qui présente des archives sur les camps nazis et John Huston, qui n'apparaît pas dans le générique pour se trouver à l'époque dans l'armée d'occupation, a participé á l'élaboration du scénario.

Les alliés ont voulu donner une vision de libération, particulièrement en Europe, là où les fascistes franquistes, post-nazis ou de toute autre nature, ont parlé pendant longtemps, et certains encore de nos jours, d'invasion.

Libération, bien entendu, mais avec une compétition entre alliés occidentaux et les services d'information soviétiques, entre les propres alliés, ou encore entre institutions d'un même pays. C'est ce qui apparaît dans les pages du dossier que j'ai traité en espagnol dans le blog memento.

La publicité et la propagande se réflètent aussi dans ces pages lorsqu'il s'agit de mettre des noms sur les documents produits dans la majorité des textes que j'ai consulté sur Internet.

Billy Wilder a supervisé et non pas dirigé le documentaire Death Mills (Usines de la mort), l'effort de direction ayant été assumé par le lieutenant Hans Burger.

Alfred Hitchcock qui, á la libération des camps, se trouve à Hollywood, va se rendre à Londres en fin Juin 1945, à la demande de Sidney Bernstein, promoteur du projet qui regroupe toutes les bobines filmées sur la libération des camps, y compris celles des Russes à Auschwitz par exemple. Il y passera un mois en qualité d'assesseur, pour un projet qui finalement sera tronqué et gardé dans les archives du Ministère de la guerre jusqu'en 1985. A cette date il est mis à la disposition des journalistes sous le titre de "Memory of the camps".

Les liens ci-dessous, la majorité en français ou en anglais, permetten au lecteur d'entrer dans ce sujet que je traite par ailleurs en espagnol dans memento: CINEASTAS  EN  LOS  CAMPOS

Liens
Dans ce Blog: The stranger de Orson Welles

Sam Fuller et le débarquement
http://bitacoras.com/anotaciones/el-desembarco-de-normandia-segun-sam-fuller/2667520




Exposition à Paris en Avril 2010 "Filmer les camps"
http://www.evene.fr/cinema/actualite/expo-filmer-les-camps-memorial-shoah-2668.php

Les camps nazis: actualité, documentaires, fiction
http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=LCS_007_0087

Death Mills
En anglais::
http://www.jewishfilm.org/Catalogue/films/deathmills.htm

Dans Film affinity
http://www.filmaffinity.com/es/film618604.html

Dans you tube
http://www.youtube.com/watch?v=IuErnR69EDQ

Le projet F3080:  Memory of the Camps

1-Qui est FRONTLINE (qui publie le film en 1985)
http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/about-us/

2-Analyse du projet (en anglais)
http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/camp/faqs.html

3-Google video:  An Alfred Hitchcock documentary on the Nazi Holocaust
http://video.google.com/videoplay?docid=-6076323184217355958

4-Google book; information exhaustive sur le projet (en anglais)
http://books.google.es/books?id=hetrpvcBuuEC&pg=PA63&lpg=PA63&dq=sidney+bernstein+pwd&source=bl&ots=rBZZO7xbzu&sig=VsiftUPB3Of4C8LHEmliRP7mFk&hl=es&sa=X&ei=EbkaT5GGFY7sOYOEnKgL&ved=0CEAQ6AEwAw#v=onepage&q=sidney%20bernstein%20pwd&f=false

Retour de guerre: "La loi du silence" (Hitchcock)

Cette page appartient au Dossier FILM NOIR

Dans la page précédente, "Hot Europe", je reprenais quelques titres de films noirs ayant comme toile de fond la guerre mondiale et ses conséquences sur le comportement des protagonistes.  Je traite ici plus en détails du film de Alfred Hitchcock I confess (La loi du silence-1953)



Un drame psychologique
Fiancé à Ruth (Ann Baxter), Michael (Montgomery Clift) est appelé par l'armée en Europe où a éclaté la guerre. A son retour,

 il parait ébranlé, hésitant devant celle qui ne l'a pas oublié mais... qui s'est mariée. Il décide de choisir une voie spirituelle et à rentrer en religion. Il devient le père Logan (il est catholique comme Hitchcock qui a certainement gardé un souvenir mémorable de la pièce de théâtre de Paul Anthelme, "Nos deux consciences", vue dans les années 1930). Son amour passé, Ruth, le retrouve et, même s'il porte la soutane, continue à chercher à réveiller en lui le désir en lui parlant de son amour. Ce qui lui sera fatal.

Ruth ment à son mari pour protéger Michael



Nous sommes bien sûr en plein drame psychologique car, au drame passionnel s'ajoute le cas de conscience du prêtre, le secret de la confession d'un criminel. Jusqu'où peut-il aller pour respecter ce secret?

La confession

 -Notons la force de l'image qui définit  la relation entre le criminel et son confesseur-



Mais il y a, peut-être, dans cette époque difficile de la postguerre, un message politique assez douteux de la part de Hitchcock, avec le choix, comme assassin, d'un immigré allemand aux Etats-Unis –et aussi pour acteur,  avec O.E.Hasse dans le rôle. Le criminel Otto Keller fera tout pour charger le père Logan. Il y a en lui un état de haine aveugle, presque de folie; il cherche à se faire une place en commettant un vol puis un meurtre avec la complicité de sa femme, Alma.

Alma doute...

...du père Logan


Hitchcock force la dose sur ce sujet, théâtralise à outrance,


sans pour autant diminuer la force de jeu de Clift, lequel sauve le film.

Ce que Michael a vécu pendant la guerre, ses hésitations face à la femme retrouvée, le poids du passé, sa décision de la vie d'ecclésiastique et, à présent, le secret de la confession à porter, toutes les épreuves vécues rigidifient ses mouvements, lui donnent un regard qui scrute les consciences, surtout celle d'Alma.


Il garde, tout au long du film, une voix qui murmure plus qu'elle n'affirme, sa douceur est triste: s'il hésitait encore à rentrer en religion, n'est-ce pas parce que la femme lui a menti et ne l'a pas attendu? Et maintenant, quand elle prétend le sauver et lui donner un alibi, ne ment-elle pas à nouveau? Nous ne connaîtrons que sa vérité à elle, dans un flash-back sirupeux, ridicule...


... d'une situation qu'elle évoque avec un romantisme d'une autre époque. Ment-elle à nouveau pour le sauver? Son regard à lui donne une autre vérité, celle que leur amour leur a donné: le sexe et le mensonge. Il ne parlera pas. Mais les révélations de Ruth, au lieu de lui offrir un alibi, le chargeront d'avantage.

L'alibi se transforme en accusation

Il affronte la justice humaine...



 ...et puise sa force en élevant son regard,


il cherche à se situer au-dessus du tourbillon humain.
Mais il ne pourra contenir la violence qui bout en lui et brisera la vitre de la voiture.


Peut-il croire vraiment? Montgomery Clift joue brillamment sur tous ces registres.

Si Hitchcock a semble-t-il été gêné, lors du tournage, par le jeu de l'acteur, inspiré de la "Méthode" Äctor Studio, on peut penser que Clift a du s'en défendre. Son jeu est totalement physique et sa sensibilité pour interpréter un tel rôle n`a certainement pu qu'aider Hitchcock. Récemment, Michael Fassbender, avec une qualité semblable et formé à la même école, bien qu'à des époques différentes, reconnaît dans une entrevue, s'être affranchi de la "Méthode" et dit ce que probablement l'on pourrait appliquer à Clift: «Jouer relève avant tout du bon sens. J'essaie le moins possible d'importuner le réalisateur avec ma manière de travailler…Les réponses que je lui apporte sont `physiques». Il est certain que les moments de Clift sans soutane, si à l'aise, perché sur une échelle en jeans et manches retroussées, attitude si chère à James Dean,


...ne sont probablement pas pour plaire au catholique Hitchcock, lequel a souvent alourdit ses films par son respect, voire sa soumission aux institutions policières, judiciaires et religieuses Pensons à The Paradine Case (Le procès Paradine-1947) ou The wrong man (Le faux coupable-1956). On est loin de The man who know too much (L'homme qui en savait trop), non pas dans sa version de 1955 avec ce jeu si lourd et classique de James Stewart et l'ineffable Doris Day, mais dans celle brouillonne et joyeuse de 1934, où l'on se rie de tout: des terroristes de Peter Lorre à l'église, de l'incompétence de la police et des services secrets, même du crime puisque la victime est prête à s'excuser auprès de sa partenaire pour le trou de balle qui salit sa chemise (voir "Hot Europe", page précédente). Notons cependant, cette image,d'une femme, près du couple Keller au moment le plus dramatique, croquant une pomme. Elle nous ramène "aux bons vieux Htichcock".





Peut-on alors parler d'un film noir...
... seulement parce qu'il y a la femme fatale, le noir et blanc, le détective, les coups de téléphone ? et…


...le crime, bien sûr.
L'art de Hitchcock est de donner une telle force aux images qui correspondent à ces différents aspects du film noir, que le drame psychologique et le chemin de croix du prêtre sont contrebalancés:
-par le choix des localisations (monuments et rues: nous sommes ici au Québec) avec une ouverture dans un noir et blanc expressionniste aux jeux d'ombres inquiétants,





-un échange de regards entre le détective et le suspect très étudiés,


- particulièrement le jeu sobre et réaliste de Karl Malden en détective, aussi au fait des problèmes que pose la conscience humaine que le père Logan.



-des appels téléphoniques pleins d'angoisse




-l'ambiance que crée le criminel, son action au procès, sa fuite désespérée…  jusqu'à la mort.


Malgré ce talent, on reste loin de la réalité quotidienne de ces personnages médiocres, de ces détectives anti-héros, qui font le charme des films noirs. C'est le drame du couple, décrit par moment comme un feuilleton romantique, que les circonstances ont désunit sous l'œil sévère, implacable de la police et d'une justice á l'ombre de la croix.


A suivre...