Europe-Entretien avec Peter Sloterdijk


¿Pourquoi est-il si dubitatif sur le terme même de « Europe »?
Je me révolte de plus en plus contre l’usage irréfléchi de ce mot. Personne ne se rend plus compte de l’émergence du mot Europe. Note population se trouve dans une situation inattendue et déstabilisante après la découverte du Nouveau Monde : nous sommes devenus Vieux Monde même si le nouveau est peuplé de ceux du vieux. Jusqu’à ce moment là, le vrai nom de cette région du monde était « Occident » face à « Orient », jeu de langage classique et idéologique cui crée des différences avec le « midi » qui est le proche orient méditerranéen. La France classique, la Gaule, et les iles Britanniques sont l’Occident, la fin du monde. La dimension atlantique et l’existence du nouveau monde transforment l’occident en Europe.  Devenir Europe est un drame relativement jeune (500 ans). Ce n’est pas en tant que européens que les anglais, français, espagnols, portugais, polonais… ont essayé de créer des empires.
Il conviendrait de laisser le concept d’Occident (Hamland en allemand : le pays du soir qui fait partie du vocabulaire de la révolution conservatrice allemande du début du XX s. et du nazisme donc suspecte). Les mots transportent une vibration sémantique et le refoulement des réalités géopolitiques dans ce cas. Surtout en Allemagne où l’on a toujours misé sur une vision du monde extrêmement territorialisée. Le refoulement de la réalité géopolitique et surtout planétaire dans l’attachement territorial (pour les russes, face à l’immensité du territoire, on dit que Dieu a remplacé le temsp par l’espace, notion d’infinité). Il y a donc un refus de la situation atlantique et bien sûr du Pacifique !

L’Européen aujourd’hui :
L’allemand, par exemple, essaie de comprendre que l’endroit qu’il habite est un endroit qui promet à ses habitants quelque chose que les économistes appellent « une rente du lieu », c.a.d quelque chose qui est donné au moment où on nait quelque part : où que tu sois, tu es nourris, on t’entoure par plusieurs couches de bienfaits jusqu’à tes 5 ans puis il y a un investissement jusqu’à 30 ans pour un seul individu pour qu’il devienne un membre actif de la réalité dans la société européenne, où qu’il soit : beaucoup de jeunes sont éduqués dans ce système de pensée.

La relation entre l’expérience européenne et l’Etat providence.
Le système de soutien a atteint des sommets historiques. Être européen aujourd’hui c’est participer d’un système de « garderie » diraient les anciens. Il crée un oubli général des conditions de possibilité de cette forme de vie. Tout ce qui est presque impossible a la forme du « donné » à partir de laquelle on peut formuler des revendications qui vont toujours plus loin, ce qui n’existe nulle part ailleurs. Mais il y a une innovation historique dans un projet de convivialité de 500 millions de personnes formant un empire sans empereur. C’est un miracle historique qu’il faut remplir d’un élan subjectif. Le politique se doit d’animer et réanimer la reaíté européenne qui est déà suffisamment impressionnante. Sinon, elle peut tomber en panne et se dissoudre.
 Il n’y a pas de grandeur sans l’attente de la chute, c’est le discours de la modernité et du romantisme. –Cela fait partie maintenant de la mentalité moderne. On peut être inquiet mais la relation entre les 27 petits chefs d’état trop sérieux est trop forte, trop réelle pour être mise en cause.  Même les populistes de l’extrême droite sont tous pris dans cette « éducation sentimentale et politique » que tous sont en train d’apprendre ; ce n’est pas innés, apprendre à vivre dans cette structure qui a 70 ans, enfant de la défaite de l’Allemagne, de la ruine de la France, une Italie surchargée et une Europe de l’Est dévorée par l’agression soviétique : cela est le point de départ
¿Est-ce une ironie qu’elle soit dominée par l’Allemagne maintenant ?
Une ironie remarquable, c’est le genre d’ironie que l’histoire semble préférer. Le peuple juif, par exemple, incarne cet élément ironique et tragique encore plus prononcé aujourd’hui après la somme de débacles que ce peuple a connu : il est plus nombreux et a une sorte de résilience, cette faculté de se redresser et s’il faut parler de l’avenir de l’Europe il faut parler de ce redressement qui a eu lieu, ce miracle après 1945.

¿Pourquoi aujourd’hui « la politique est-elle en déliquescence » ?
La question exige une audace de simplification et la plus hardie des simplifications serait de prétendre que la politique est une invention du temps de réflexion qui date des grecs de 2500 ans avec les orateurs sur la place publique en Grèce (le pupitre de l’Agora). On crée des iles de réflexion, on arrête le temps, on introduit une pause, berceau de la réalité politique, riche des inspiratins de la pause.  C’est une interruption de l’activité pour enrichir l’action par la réflexion après la pause. On peut alors concevoir ce que sera une législation illuminée. Cela a été oublié par un millénaire et doit être réinventé depuis la renaissance.
Le destin de l’Allemagne avec Nietzsche, Heidegger, Freud…
C’est devenu un pays d’importation d’idées après la guerre. Ouverture à la précision technique, l’américanisme et l’abandon de la prétention allemande qui est d’écrire le scénario, le manuel de l’éthique de l’humanité toute entie`re, et surtout Marx : l’Allemagne a toujours été le centre d’exportation des erreurs majeures. Par exemple, la Chine dépend entièrement des importations des erreurs allemandes : les Mercedes, BMW, peuplent les rues de la Chine mais c’est toujours camarade Marx duquel le parti prétend contrôler la vie d’un peuple. C’est le résultat de l’exportation des idées allemandes.
Actuellement l’Allemagne fait une cure de normalisation en espérant encontrer dans la France les éléments de cette normalisation. C.a.d un pays qui laisse tomber son fantasme d’élection. Il fallait arracher au judaïsme le privilège de l’élection pour toutes les églises chrétiennes et se l’approprier : cela s¡est produit sur tout le sol européen mais encore plus aux USA qui représente un fourmillement de groupes d’élus. Les allemands sont les premiers-nés des non-élus et c’est pour ça qu’on se méfie de cette mégalomanie qu’un chef peut exprimer, son statut d’élu, une mégalomanie qui est en fait une réalité moyenne.  Face á cette mégalomanie, la France porte un héritage d’enthousiasme gratuit d’une population très inflammable, d’un révolutionnarisme bon marché : une histoire révolutionnaire qui a ses rechutes-un jeu révolutionnaire interrompu par des néo-monarchies. L’incapacité de se réformer est une caractéristique française.

Conservateur de gauche
Il ne faut pas abandonner les conquêtes sociales, c’est cela être conservateur, préserver un stock de prestations et de situations acquises a travers de luttes et la productivité de la techonologie moderne. Noter époque a une tendance dangereuse à la paresse. La dimension de ‘éducation est en déclin, la culture de l’effort disparait.
L’identité
Nous vivons à l’époque des fantômes et le spectre du nazisme a une étrange capacité de revenir et les fantômes ont besoin de sang réel pour se manifester et il faut tout faire pour le leur soustraire cette possibilité. ¿un retour du même comme disait Nietzsche ? Le plus grand risque consisterait dans une évolution perverse que l’impulsion régicide porte au pouvoir le lepénisme. C’est le non-voulu des gilets-jaunes qui explose et empoisonner une nation entière. 
Les médias changent tout par rapport aux années 30. La grande coalition des antilibéraux dans la première moitié du XXs., avec la grande coalition indirecte et non voulue, très perverse des antilibéraux : fascisme, communisme et catholicisme politique, triangle infernal qui a coopéré pour détruire ce qui pouvait sauver la civilisation face à la menace des années 30. On s’en rapproche de nouveau par le soi-disant capitalisme car le véritable capital est une monnaie investie dans une  entreprise concrète et le soi-disant capitalisme est spéculatif  et hyper gonflé qui n’a rien à voir avec la définition originale d’une monnaie entrant et investie dans une entreprise concrète.
Le manque de popularité du projet européen et le manque d’enthousiasme est la force du projet même. La grisaille des affaires européenne est un grand élément de vérité car il n’est pas compatible avec une mobilisation des masses qui correspond da une violence ou une guerre. Les européens sont très loin d’une mobilisation militaire ou idéologique est c’est un très bon signe. 


Voir mes blogs en espagnol :

Blogs de memento
individuo y sociedad                  cine negro       +Más+ de memento


"Paris n'a pas été innondé"-Roland Barthes


A Macon en 1955




Texte paru dans  Mythologies[1] (Textes écrits entre 1954 et 1956) p.65

Malgré les embarras ou les malheurs qu’elle a pu apporter à des milliers de Français, l’inondation de janvier 1955 a participé de la Fête, plus que de la catastrophe.
D’abord, elle a dépaysé certains objets, rafraichi la perception du monde en y introduisant les points insolites et pourtant explicables : on a vu des autos réduites  à leur toit, des réverbères tronqués, leur tête  seule surnageant comme un nénuphar, des maisons coupées comme des cubes d’enfants, un chat bloqué plusieurs jours sur un arbre. Tous ces objets quotidiens ont paru tout d’un coup séparés de leurs racines, privés de la substance raisonnable par excellence, la Terre. Cette rupture a eu le mérite de rester curieuse, sans être magiquement menaçante : la nappe d’eau a agi comme un truquage réussi mais connu, les hommes ont eu le plaisir de voir des formes modifiées, mais comme toute « naturelles », leur esprit a pu rester fixé sur l’effet sans régresser dans l’angoisse vers l’obscurité des causes.la crue a bouleversé l’optique quotidienne, sans pourtant la dériver vers le fantastique ; les objets ont été partiellement oblitérés, no  déformés : le spectacle a été singulier mais raisonnable.

Toute rupture un peu ample du quotidien introduit à la Fête : or, la crue n’a pas seulement choisi et dépaysé certains objets, elle a bouleversé la cénesthésie même du paysage, l’organisation ancestrale des horizons :  les lignes habituelles du cadastre, les rideaux d’arbres, les rangées de maisons, les routes, le lit même du fleuve, cette stabilité angulaire qui prépare si bien les formes de la propriété, tout cela a été gommé, étendu de l’angle au plan : plus de voies, plus de rives, plus de directions : une substance plane qui ne va nulle part, et qui suspend ainsi le devenir de l’homme, le détache d’une raison, d’une ustensilité des lieux.

Le phénomène le plus troublant est certainement la disparition même du fleuve : celui qui est la cause de tout ce bouleversement, n’est plus, l’eau n’a plus de cours, le ruban de la rivière, cette forme élémentaire de toute perception géographique, dont les enfants, justement, sont si friands, passe de la ligne au plan, les accidents de l’espace n’ont plus aucun contexte, il n’y a plus de hiérarchie entre le fleuve, la route, les champs, les talus, les vagues terrains : la vue panoramique perd son pouvoir majeur,  qui est d’organiser l’espace comme juxtaposition de fonctions. C’est donc au centre même des réflexes optiques que la crue porte son trouble. Mais ce trouble n’est pas visuellement menaçant (je parle des photos de presse, seul moyen de consommation vraiment collective de l’inondation) : l’appropriation de l’espace est suspendue, la perception est étonnée, mais la sensation globale reste douce, paisible, immobile et liante ; le regard est entrainé dans une dilution infinie ; la rupture du visuel quotidien n’est pas de l’ordre du tumulte : c¡est une mutatio9n dont on ne voit que le caractère accompli, ce qui en éloigne l’horreur.

A cet apaisement de la vue, engagée par le débordement des fleuves calmes dans un suspens des fonctions et des noms de la topographie terrestre, corresponde évidemment tout un mythe heureux du glissement : devant les photos d’inondation, chaque lecteur se sent glisser par procuration. D’où le grand succès des scènes où l’on voit des barques marcher dans la rue : ces scènes sont nombreuses, journaux et lecteurs s’en sont montrés gourmands. ÇC’est que l’on y voit accompli dans le réel le grand rêve mythique et enfantin du marcheur aquatique. Après des millénaires de navigation, le bateau reste encore un objet surprenant : il produit des envies, des passions, des rêves : enfants dans leur jeu ou travailleurs fascinés par la croisière, tous y voient l’instrument même de délivrance, la résolution toujours étonnante d’un problème inexplicable au bon sens : marcher sur l’eau. L’inondation relance le thème, lui donne pour cadre piquant la rue de tous les jours : on va en bateau chez l’épicier, le curé entre en barque dans son église, une famille va aux provisions en canoë.

A cette sorte de gageure, s’ajoute l’euphorie de reconstruire le village ou le quartier, de lui donner des chemins nouveaux, d’en user un peu comme d’un lieu théatral, de varier le mythe enfantin de la cabane par l’approche difficile de la maison-refuge, défendue par l’eau même, comme un château fort ou un palais vénitien. Fait paradoxal, l’inondation a fait un monde plus disponible, maniable avec la sorte de délectation que l’enfant met à disposer ses jouets, à les explorer et à en jouir. Les maisons n’ont plus été que cubes, les rails lignes isolées, les troupeaux,  masses transportées et c’est le petit bateau, le jouet superlatif de l’univers enfantin, qui est devenu le mode possessif de cet espace disposé, étalé, et non plus enraciné.

 Si l’on passe des mythes de sensation aux mythes de valeur, l’inondation garde la même réserve d’euphorie ; la presse a pu y développer très facilement un dynamique de la solidarité et reconstituer au jour le jour la crue comme un évènement groupeur d’hommes. Cela tient essentiellement à la nature prévisible du mal : il y avait par exemple quelque chose de chaud et d’actif dans la façon dont les journaux assignaient d’avance à la crue son jour de maximum ; le délai à peu près scientifique imparti à l’éclatement du mal a pu rassembler les hommes dans une élaboration rationnelle du remède : barrages, colmatages, évacuations. Il s’agit de la même euphorie industrieuse qui fait rentrer une récolte ou du linge avant l’orage, lever un pont-levis dans un roman d’aventures, en un mot lutter contre la nature par la seule arme du temps.

Menaçant Paris, la crue a pu même s’envelopper un peu dans le mythe quarante-huitard : les Parisiens ont élevé des « barricades », ils ont défendu leur ville à l’aide de pavés contre le fleuve ennemi. Ce mode de résistance légendaire a beaucoup séduit, soutenu par toute une imagerie du mur d’arrêt, de la tranchée glorieuse, du rempart de sable qu’édifient les gosses sur la plage en luttant de vitesse contre la marée. C’était plus noble que le pompage des caves, dont les journaux n’ont pu tirer grand effet, les concierges ne comprenant pas à quoi servait d’étancher une eau que l’on rejetait dans le fleuve en crue. Mieux valait développer l’image d’une mobilisation armée, le concours de la troupe, les canots pneumatiques à moto-godilles, le sauvetage « des enfants, des vieillards et des malades », la rentrée biblique des troupeaux, toute cette fièvre de Noé emplissant l’Arche. Car l’Arche est un mythe heureux : l’humanité y prend ses distances à l’égard des éléments, elle s’y concentre et y élabore la conscience nécessaire de ses pouvoirs, faisant sortir du malheur même l’évidence que le monde est maniable.

Consulter les autres blogs de memento en espagnol :
Blogs de memento
individuo y sociedad                  cine negro           Más de memento





[1] Éditions du Seuil 1957-ISBN 978-2-7578-4174-4

Puissance et désinvolture-Roland Barthes


"The Set-up" (1949-Robert Wise): Le gangster Little Boy donne ses ordres à Danny pour truquer le combat de boxe entre Stoker et Tigger



Texte paru dans  Mythologies[1] (Textes écrits entre 1954 et 1956) p.77
Dans les films de Série noire, on est arrivé maintenant à un bon estuaire de la désinvolture : pépées à la bouche molle lançant leurs ronds de fumée sous l’assaut des hommes, claquements des doigts olympiens pour donner le signal net et parcimonieux d’une rafale ; tricot paisible de l’épouse du chef de bande, au milieu des situations les plus brûlantes. Le
Grisbi avait déjà institutionnalisé  ce gestuaire du détachement en lui donnant la caution d’une quotidienneté française.

Le monde des gangsters est avant tout un monde de sang froid. Des faits que la philosophie commune juge encore considérables, comme la mort d’un homme, sont réduits à une épure, présentés sous le volume d’un atome de geste : un petit grain dans le déplacement paisible des lignes, deux doigts claqués et à l’autre bout du champ perceptif, un homme tombe dans la même convention de mouvement. Cet univers de la litote, qui est toujours construit comme une dérision glacée du mélodrame, est aussi on le sait, le dernier univers de la féerie. L’exigüité du geste décisif à toute la tradition mythologique depuis le numen des dieux antiques, faisant d’un mouvement de tête basculer la destinée des hommes, jusqu’au coup de baguette de la fée ou du prestidigitateur. L’arme à feu avait sans doute distancé la mort, mais d’une façon invisiblement rationnelle qu’il a fallu raffiner sur le geste pour manifester de nouveau la présence du destin : voilà ce qu’est précisément la désinvolture de nos gangsters : le résidu d’un mouvement tragique qui parvient à confondre le geste et l’acte sous le plus mince des volumes.

J’insisterai de nouveau sur la précision sémantique de ce monde, sur la structure intellectuelle (et non pas seulement émotive) du spectacle. L’extraction brusque du colt hors de la veste dans une parabole impeccable ne signifie nullement la mort, car l’usage indique depuis longtemps qu’il s’agit d’une simple menace dont l’effet peut être miraculeusement retourné : l’émergence du revolver n’a pas ici une valeur tragique, mais seulement cognitive ; elle signifie l’apparition d’une nouvelle péripétie, le geste est argumentatif, non proprement terrifiant ; il correspond à telle inflexion du raisonnement dans une pièce de Marivaux : la situation est retournée, ce qui avait été objet de conquête est perdu d’un seul coup ; le ballet des revolvers fait le temps plus faible , disposant dans l’itinéraire du récit, des retours à zéro, des bonds régressifs analogues à ceux du jeu de l’oie. Le colt est langage, sa fonction est de maintenir une pression de la vie, d¡éluder la clôture du temps ; il est logos, non praxis.

Le geste désinvolte du gangster a au contraire tout le pouvoir concerté d’un arrêt : sans élan, rapide dans la quête infaillible de son point terminal, il coupe le temps et trouble la rhétorique. Toute désinvolture affirme que seul le silence est efficace : tricoter, fumer, lever le doigt, ces opérations impsent l’idée que la vraie vie est dans le silence, et que l’acte a droit de vie ou de mort sur le temps. Le spectateur a ainsi l’illusion d’un monde sûr, qui ne se modifie que sous la pression des actes, jamais dans celle des paroles ; si le gangster parle, c¡’est en images, le langage n’est pour lui que poésie, le mot n’a en lui  aucune fonction démiurgique : parler est sa façon l’être oisif et de le marquer. Il y a un univers essentiel qui est celui des gestes bien huilés, arrêtés toujours à un point précis et prévu, sorte de somme de l¡efficacité pure : et puis, il y a par-dessus quelques festons d’argot, qui sont comme le luxe inutile (et donc aristocratique) d’une économie où la seule valeur d’échange est le geste.

Mais ce geste, pour signifier qu’il se confond avec l’acte, doit polir toute emphase, s’amincir jusqu’au seuil perceptif de son existence ; il ne doit avoir que l’épaisseur d’une liaison entre la cause et l’effet ;  la désinvolture est ici le signe le plus astucieux de l’efficacité ; chacun y trouve l’idéalité d’un monde rendu à merci  sous le pur gestuaire humain et qui ne se ralentirait plus sous les embarras du langage : les gangsters et les dieux ne parlent pas, ils bougent la tête et tout s’accomplit.

Consulter les autres blogs de memento en espagnol :
Blogs de memento
individuo y sociedad                  cine negro           Más de memento





[1] Éditions du Seuil 1957-ISBN 978-2-7578-4174-4

Éthique et Nucléaire





 

Article paru dans le Blog « Chambre à Part » - Le Monde du 13 Février 2014 sur le débat sur la dissuation nucléaire à la Commission de la Défense du Parlement
Cela pourrait presque être le début d'une histoire drôle. Celle d'un rabbin, d'un pasteur, d'un imam et d'un évêque qui entrent à l'Assemblée nationale pour y parler de la dissuasion nucléaire. Pourtant, les auditions des aumôniers militaires en chef des cultes israélite, protestant, musulman et catholique, devant la commission de la défense mercredi 12 février, n'avaient rien d'une plaisanterie.
L'exercice peut sembler surprenant – voire inconvenant – dans une République laïque où le pouvoir politique est séparé du religieux. Seul député écologiste de la commission de la défense, François De Rugy (dont la formation politique avait demandé ce débat sur la dissuasion nucléaire qui se déroule sur plusieurs mois avec de nombreuses autres auditions) n'a d'ailleurs pas masqué son étonnement devant ces invités religieux. Mais, bien qu'athée revendiqué, l'élu a pour autant salué un débat "intéressant" et utile pour "éclairer" le politique.
Chose rare en effet, les réflexions de ces religieux militaires, et particulièrement celles du rabbin Haïm Korsia, dont la religion place la discussion au cœur de sa pratique, ont permis d'aborder une question lourde – l'arme nucléaire – par ses versants éthiques et spirituel.

DISSUADER UN SAGE OU UN FOU
Ainsi, un "enseignement extraordinaire" de la Genèse – le meurtre de Abel par Caïn – éclaire selon le rabbin Korsia la question de l'utilisation de l'arme fatale, "ultime aboutissement d'une incapacité à parler" : "Caïn a tué Abel lorsqu'ils ont arrêté de parler. Tant qu'ils se parlent, qu'ils se disputent, il reste une possibilité d'arranger les choses. Ce que nous apprend cette histoire, c'est que tant qu'il y a débat, même houleux, il y a possibilité de refraternisation. La dissuasion nucléaire a forcé les États à mettre en place des systèmes de parole, cela force à débattre."
Quant aux limites de la dissuasion et des conditions dans lesquelles elle peut fonctionner, ce sont, là encore, les Ecritures qui les expliqueraient le mieux. Et le rabbin de citer deux passages de l'Ancien testament. "Lorsque le prophète Jonas vient devant la ville de Ninive en disant 'si vous ne vous repentez pas, dans 40 jours, Dieu va vous détruire', la ville se repent. Celui qui menace est crédible et les gens en face sont intelligents. La menace du fort à l'intelligent fonctionne. Mais quand Moïse prévient Pharaon des plaies qui s'abattront sur l’Égypte s'il ne laisse pas partir le peuple d'Israël, Pharaon n'écoute pas. La dissuasion du fort envers le fou ne fonctionne pas".
"Avoir une vision angélique du monde n'interdit pas de se prémunir des risques", soutient le rabbin qui rappelle que "la Bible interdit la violence mais la légitime quand il s'agit de la légitime défense" : "le prophète Esaï dit qu'un jour le loup habitera avec l'agneau. Mais un autre grand rabbin du XXe siècle, Woody Allen, a précisé que 'le jour où le loup et l'agneau dormiront ensemble, l'agneau ne dormira quand même que d'un seul œil'". Pas question pour autant de légitimer les yeux fermés l'utilisation de l'arme nucléaire car "une société restera digne tant qu’elle se posera cette question : nous devons protéger nos citoyens mais on ne peut pas le faire en s’en lavant les mains, sans considérer que cela nous touche".

"LES FACTEURS POLITIQUES NE DOIVENT JAMAIS CONDUIRE A UNE SURDITÉ ÉTHIQUE"
Sans parler au nom des musulmans – il n'existe pas de clergé dans l'Islam – l'imam Abdelkader Arbi s'est lui davantage échiné à assurer que "l'Islam comprend une multitude de courants qui vont du mieux disposés à l’égard de l’époque moderne aux plus fondamentalistes" et que "la guerre en Islam tel que les textes religieux le prévoit, n’est pas sanctifiée. Qu'importe ce qu'en disent les fondamentalistes, "il n’existe pas de guerre sainte en Islam, à l’origine des textes. Le djihad reste une attitude individuelle, un effort sur soi même."
Enfin, Monseigneur Luc Ravel a porté le message le plus pacifique rappelant que, depuis le concile de Vatican II (1965), l’Église catholique juge que "tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de ville entière ou de région avec leurs habitants est un crime contre dieu et contre l’homme lui même" et plaide pour un "désarmement général, équilibré et contrôlé".
"Il y a des facteurs politiques qui ne doivent jamais vous conduire à une surdité éthique. Il n’y a qu’une terre, sur laquelle nous pouvons vivre ensemble, c’est ma foi, mon utopie. Mais celle-ci intègre aussi la fissure, que nous appelons pêché originel, qui est dans les cœurs de chacun et qui nous entraîne comme un poids vers le mal. Donc soyons lucide et raisonnable", a exposé l'évêque. "Il n’y a pas de cœur plus fort qu’un cœur brisé", lui a répondu le rabbin, amenant en conclusion le débat sur la spécificité de la dissuasion nucléaire française : "c’est parce qu’on a souffert, qu’on a connu la guerre sur notre sol, que l'on sait ce que c’est et qu'on ne peut le souhaiter à personne".

 

Consulter les autres blogs de memento en espagnol :

Blogs de memento

individuo y sociedad                  cine negro         Más de memento

 

 

 

"Double Indemnity" (Billy Wilder)

Cette page appartient au Dossier FILM NOIR

Assurance sur la mort
Metteur en scène: Billy Wilder
Scénario: Raymond Chandler et Billy Wilder
Musique: Mikiós Rózsa
Photographie: John Seitz 
Acteurs: Barbara Stanwick (Phyllis)
-Fred MacMurray (Walter Neff)
- Edward G.Robinson (Keyes)
Année 1944: Billy Wilder  achève le tournage de Double Indemnity quelques mois avant de se rendre en Allemagne où il est amené à superviser le montage des différentes prises effectuées lors de la libération des camps de concentration (voir dans le Dossier: Cinéastes dans les camps: Death Mills)



Double Indemnity  présente des caractéristiques très particulières dans son genre.  Son esthétique apporte une grande innovation et un modèle pour le FILM NOIR à partir de cette date. Son accueil enthousiaste encore de nos jours le confirme et il est considéré comme un classique. Si The maltese falcon (Le faucon maltais-John Huston-1941, d'après le roman  de Dashiell Hammett) et This gun for hire (Tueurs à gage-Frank Tuttle-1942,  d'après le roman de Graham Greene) ont antérieurement introduit ce style, Double Indemnity  crée une atmosphère qui marque le genre.

La photographie de John Seitz
Nous avons cité John Seitz au sujet de Josef von Sternberg (voir Shanghai Gesture) avec qui il avait travaillé dans Sergeant madden, mais aussi au sujet de This gun for hire cité ci-dessus et bien entendu Sunset Boulevard dans lequel il rencontre à nouveau Billy Wilder après Double indemnity et Lost Weekend un an plus tard. L'utilisation de la lumière filtrant à travers les persiennes est une innovation dans le film noir, mais nous pouvons penser à l'influence de Sternberg sur Seitz, même si le propos est ici moins lyrique.

Billy Wilder raconte que, pour obtenir une atmosphère asphyxiante et sordide de la maison de Phyllis , John Steiz employa une poudre argentée "qui dansait sous la lumière comme dans les peintures des maîtres du passé". C'est la même technique qu'il utilisera plus tard pour la maison de Norma (Gloria Swanson) dans Sunset Boulevard.

«Le soleil passait à travers les persiennes illuminant la poussière» dit la voix off de Neff (Fred MacMurray) tandis qu'il parcourt le salon de Phyllis.   Seitz sait rendre parfaitement  l'atmosphère propre au genre dans les extérieurs  nocturnes mais aussi crée une luminosité saturée pour les extérieurs de jour comme, par exemple, dans la séquence où Jeff arrive à la maison de Phyllis, avec son commentaire en off.

«C'était une de ces maisons de style espagnol à la mode il y a une quinzaine d'années». Quant aux personnages, la photographie  met en évidence la tension chargée de sensualité qui se dégage dans la relation entre Neff et Phyllis. L'image sert de narration: la contreplongée sur la femme nue sous sa serviette de bain, dominant l'homme dans l'escalier…


…la descente de l'escalier et…  le reflet du bracelet qu'elle porte à la cheville, point de départ pour la conquête de Neff.

L'éclairage éclatant du visage ou des cheveux de Phyllis ou, au contraire, son visage dans l'ombre contrastant avec le pull blanc, sont des plans qui définissent en fait le regard chargé de désir de Neff.



 La voix off

«Los Angeles, 16 Juillet 1938. Je n'aime pas le mot "confession"…»

Dès la première séquence, le développement de la narration est prévisible. La voix de Neff enregistrant sa confession alors que saigne sa blessure par balle nous fait pénétrer dans l'essence des récits de "Black Mask", des séries noires et du pur film noir. C'est une introduction qui se retrouve dans D.O.A. de Rudolph Maté ou Sunset Boulevard du même Wilder: à partir de Double Indemnity, nous retrouverons souvent ce type de mise en scène pour décrire l'aspect inéluctable du destin du protagoniste. La voix off enchaine à partir de cette première séquence.  Burt Lancaster dans The Killers (les tueurs-Robert Siodmak-1946),  Orson Welles dans The Lady from Shanghai (1948), Humphrey Bogart dans Dark Passage (Delmer Daves-1947)… et tant d'autres, savent que, quelque soit le chemin qu'ils choisissent, le destin finira par les rattraper. Cette fatalité qui nous est révélée au début du film transforme le sens du suspense: nous savons qu'il y a eu crime, l'assassinat du mari de Phyllis, qu'elle et Neff, l'agent d'assurance, sont complices, que le crime fut parfait du moment que Keyes, le chef de Neff dans la "Pacific all risk insurance" s'est trompé quant à l'identité du criminel malgré sa perspicacité. Même si le film nous réserve de bons moments de suspense,   il est  libéré de l'intrigue au profit d'une extraordinaire peinture sociale de par  la caractérisation des personnages et leurs relations,  le rythme avec lequel se transforment les sentiments des amants complices et surtout l'atmosphère sensuelle et des dialogues fortement suggestifs. Billy Wilder compte avec l'aide de la partition musicale de Miklos Rozsa et, surtout,  celle de Raymond Chandler avec qui il signe le scénario à partir du roman de James Cain publié en 1936 et lui-même inspiré d'un fait divers en 1927. Chandler s'est rendu célèbre pour son premier roman The big sleep en 1939 et que Howard Hawks adaptera (Le grand sommeil- 1946), suivi de La dame du lac que Robert Montgomery tournera en camera subjective en 1947. Les deux œuvres ont Philippe Marlowe comme héros. Avec Assurance sur la mort, Chandler entre à Hollywood: «Nous nous disputions car il n'avait aucune connaissance du cinéma, mais lorsqu'il s'agissait de définir l'atmosphère et de caractériser les dialogues, il était extraordinaire» commente Billy Wilder.
L'atmosphère de James Cain 
…révisée par Chandler est réalisée principalement autour de deux couples: Neff et Phyllis d'une part et Neff et Keyes de l'autre.



Reprenons ici quelques dialogues de cette série noire filmée de Chandler et Wilder:
Cette phrase de Neff dans sa confession enregistrée, caractéristique des héros perdants: «je pensais que tout allait mal se terminer. Je n'entendais pas mes propres pas, Keyes… ils étaient ceux d'un homme mort».
La rencontre de Neff et Phyllis, elle le toisant du haut de l'escalier:
Neff: L'assurance prend fin le 15… Je ne souhaiterais pas que s'abiment les pare-chocs.
Phyl: … Je crois comprendre de quoi vous parlez… Je prenais un bain de soleil…
Neff: Espérons qu'il n'y avait pas de pigeon




Puis, dans la même séquence, après que Phyllis se soit vêtue, ce jeu de mots sur l'assurance de l'auto du mari:



-Mon mari sera ici demain. Je pense que vous désirerez le rencontrer, n'est-ce pas?
-C'est ce que je pensais, mais ça m'est passé. Vous voyez ce que je veux dire…
-Dans cet Etat, il y a une limite de vitesse: 45 milles à l'heure
-… et à quelle vitesse j'allais, mon sieur l'agent?
-Disons… 90
-Disons que…vous descendez de la moto et me filez un PV
-Disons que cette fois c'est juste un avertissement
-Et si ça ne sert pas
-Disons qu'il faudra que je tape dans les jointures
-Disons que je me mets à pleurer sur son épaule
-Disons que vous devriez plutòt essayer celle de mon mari
-Là vous m'avez eu!
Lorsqu'à la fin de l'aventure Phyllis raconte à Neff les détails de son propre plan –partir avec un autre et éliminer Neff:

Neff: Pour une fois je te crois parce que c'est plutôt pourri
Phyl: nous sommes aussi pourris l'un que l'autre
Neff: Oui, mais toi un peu plus que moi
Phyl: je n''ai aimé ni toi ni personne… je suis pourrie et je t'ai utilisé, comme tu l'as dit
Ambiance!
Après tant de cynisme, de lâcheté, de tromperies et de peurs, la dernière séquence nous offre un moment de forte émotion, traité avec sensibilité et sobriété par Wilder. Neff, le criminel fatigué et blessé, voudrait fuir ou mourir. Son chef Keyes qui a toujours compté su Neff pour allumer ses cigares, se penche sur lui pour lui allumer une cigarette
Neff: le type que tu cherchais était trop près
Keyes: encore plus près, Walter
Neff: moi aussi, je t'aime


"D.O.A."(Rudolph Maté)

Cette page appartient au Dossier FILM NOIR
D.O.A. (Mort à l'arrivée-1950)
Mise en scène: RudolphMaté
Musique: Dimitri Tiomkin
Photographie: Ernest Lazlo
              Pamela Britton
              Luther Adler
Un homme avance dans les couloirs du commissariat de Los Angeles, jusqu'au bureau des homicides. La musique de Dimitri Tomkin nous communique son sentiment d'angoisse et le rythme de son pas ferme et décidée. Le leitmotiv du film donne, dès la première séquence, le signal que le dialogue confirme:
-Je viens déclarer un assassinat
-Asseyez-vous. Où a-t-il été commis?
-A San Francisco, hier nuit
-Qui a-t-on assassiné?
-Moi… Voulez-vous ou non m'écouter? il ne me reste pas beaucoup de temps.
Et commence le flash back de celui qui va mourir.
Après avoir vu sunset Boulevard (1950) de Billy Wilder, un fil conducteur est facile à établir avec D.O.A. (Mort à l'arrivée -1950) de Rudolph Maté.  Dans l'histoire du Film noir, Sunset boulevard et  D.O.A.  sont marquants pour la voix off de celui qui vient de mourir dans le premier (Joe Gillis/William Holden) et de celui qui sait qu'il va mourir (Frank Bigelow/Edmond O'Brien) dans D.O.A.
On peut aussi noter d'autres relations entre les deux films: les deux acteurs William Holden et Nancy Olson qui jouent dans Sunset Boulevard, venaient de terminer  Union Station (Midi, gare centrale)  avec Rudolph Maté tourné la même année que D.O.A.
Remakes
Il y a mieux: D.O.A. serait inspiré de Der Mann, der seinen Mörder sucht ((L’homme qui recherchait son propre meurtrier  -Robert Siodmak-1931),  dont l'un des scénaristes n'est autre que… Billy Wilder. Ernst Neurbach qui participa aussi au scénario de ce film, tiré d'une de ses pièces de théâtre,  "Jim, der Mann mit der Narbe", le reprendra dans On demande un assassin en 1949 avec Fernandel puis en fera un remake en 1952: Man lebt nur einmal (L'homme qui ne vit qu'une fois-). Un autre remake de ce dernier film sera la comédie Alles im Eimer (Ralf Gregan-1981). Enfin, Aki Kaurismaki s'empare du sujet et tourne I hires a contract killer (J'ai engagé un tueur -1990) dans lequel Jean-Pierre Léaud, qui ne parvient pas à se suicider, contacte un tueur pour effectuer le contraCette liste impressionnante de remakes depuis 1931 témoigne de la source d'inspiration  qu'a été le scénario en Allemagne, en France et aux Etats-Unis et je crois même en Australie.  Le thème de l'individu qui essaie d'échapper à un destin peut effectivement être traité comme une comédie ou comme le plus fort des suspenses.
La transgression
Un thème essentiel du film noir est de suivre les tribulations du protagoniste qui, à partir d'une transgression qui semble mineure dans son parcours, se retrouve plongé dans des situations aux conséquences dangereuses pour lui ou ceux qui l'entourent. Nous le verrons dans Détour, Kiss me deadly, Pick-up on South Street, Double Indemnity, Gun Crazy, The Lady from Shanghai  et tant d'autres… 
Mais la proposition de D.O.A. ajoute un élément de suspense et d'angoisse qui fait toute la force du film et permet au spectateur de vivre un moment tout à fait excitant: voilà donc un personnage, Frank Bigelow,  qui nous raconte comment il a vécu son dernier cauchemar: savoir qu'il va mourir sans savoir pourquoi. Le personnage de Frank est interprété magistralement par Edmond O'Brien. Lui qui a tenu tant de rôles secondaires, même s'il fut récompensé par l'Oscar,  porte ici tout le poids du film et utilise l'éventail complet des émotions que la situation exige.
Frank Bigelow tient un cabinet de notaire dans une petite ville de Californie. Il est aidé par une secrétaire,…

… Paula (Pamela Britton) qui rêve de devenir sa femme. Frank a besoin de réfléchir sur le sujet et décide de prendre une semaine de congé à San Francisco. Peut-être qu'inconsciemment a-t-il  décidé d'enterrer sa vie de vieux garçon… Il descend dans un hôtel où a lieu un congrès dans une ambiance gaie et bien arrosée.
Paula au téléphone: Frank, sache que rien dans ta conduite ne doit te rendre coupable…

…ce qui augmente son sentiment de culpabilité puisqu'au même moment il reluque une congressiste appuyée au chambranle de la porte de sa chambre.
Paula lui a bien parlé d'un certain Phillips, d'un bureau d'import-export, d'un contrat… Mais les congressistes entrainent  ce bonasse de frank  au Fisherman, un club de jazz typique de la sous-culture Beat…

…femmes et hommes électrisés par le groupe de jazz,

…le machisme à fleur de peau chez certains, nous sommes plongés dans un reportage d'un puissant réalisme. Si la séquence dans un bar est le point de passage obligatoire dans un bon film noir, dans D.0.A. nous pouvons apprécier un excellent groupe de jazz –la scène a été enregistrée dans un studio de Los Angeles et retravaillée ensuite en play-back.

Frank se rend au bar et se risque à un flirt au bar du club avec Suzy –ou peut-être bien s'appelle-t-elle Lucy, je ne sais pas trop…

…Il l'invite à prendre un verre. Et voilà la transgression!
Savoir que l'on va mourir
A partir de cette invitation,…


… la permutation des verres de whisky par  l'inconnu au bar,

…le retour seul à l'hôtel… au matin, Frank ne se sent pas bien du tout:

-Garçon, remportez la boisson, … je ne peux ni regarder  le plateau… j'ai besoin d'air frais…

Visite au premier médecin: votre corps a absorbé assez de toxines pour que l'on puisse espérer une réversibilité… il ne vous reste pas beaucoup de temps à vivre…

… au second médecin: je crois que vous ne comprenez pas, monsieur Bigelow, on vous a assassiné…

Frank court, la musique reprend le thème de la première séquence,

…le piano remplace les violons, l'angoisse le tenaille, la force du destin, la marche inexorable vers la mort, l'autocompassion,  le piano…Magnifique séquence tournée sans permis dans Market street et d'autres rues de San Francisco:

…les passants bouche bée de voir Edmond O'Brien dans cet état d'excitation, de panique, bousculant les uns et les autres… Une scène qui nous rappelle celle tournée aux mêmes endroits et dans les mêmes conditions par Valentina Cortese dans The house in Telegraphic Hill traitée dans ce dossier.

Le soleil brille,...

…la petite fille joue avec une balle,

…les amoureux se retrouvent sur l'air d'une valse de Strauss…  la vie est belle!`
"On vous a assassiné" la phrase résonne dans sa tête. Il reprend des forces, marche d'un pas ferme jusqu'au Fisherman:

 …savoir qui m'a assassiné, cela n'est pas inéluctable! La musique reprend le thème de la marche. Frank est décidé: chercher, retrouver et laisser éclater sa rage. Pourquoi lui? Qui lui en veut?


Paula au téléphone, dans son rôle de secrétaire: tu pourrais: au moins me  faire croire que je te manque… à propos, Phillips est mort hier nuit…ses bureaux…Bradbury Building… Los Angeles…
C'est le choc pour Frank mais aussi une piste.
De san francisco a Los Angeles  
La nuit envahit l'écran, le Bradbury Building et le Million Dollar Hotel, qui fait l'angle avec Broadway. C'est dans le Bradbury Building que Frank devra résoudre l'énigme, l'immeuble même où Ridley Scott tournera plus tard Blade Runner.

Avant d'être metteur en scène, Rudolph Maté a été l'un des plus grands  directeurs de la photographie de l'histoire du cinéma  (voir l'intéressant lien suivant Jean Charpentier et ses références à Dreyer puis au Gilda de Charles Vidor). A Hollywood, en effet, Maté suit la carrière de Rita Hayworth mais travaille avec les plus grands metteurs en scène Hitchcock, Welles… Il passe à la mise en scène à son tour en se spécialisant dans le Film Noir de petit budget.

Dans D.O.A. l'illumination contrastée des extérieurs et l'atmosphère particulière  du Bradbury Building qu'obtient  le directeur de photographie Ernest Lazlo nous fait sentir la présence et les conseils de Rudolph Maté qui tient la caméra.

Les heures sont comptées
L'obscurité se fait plus épaisse, Frank se sent de plus en plus asphyxié dans sa poursuite …qui passe de bureaux sordides …en usines désaffectées.

Sa recherche à Los Angeles le met en contact avec des personnages louches et manipulateurs. A la panique due à la boisson empoisonnée par une main inconnue, voilà que viennent s'ajouter une foule d'informations inextricables que ce soit de la part de…

…la veuve de Phillips, de son amant,

…de la maitresse de Phillips Maria Rakubian (Laurette Luez)

…ou du  sinistre Majak (Luther Adler) impliqué dans l'achat d'un métal rare, ou son acolyte sadique Chester (Neville Brand dans un rôle mémorable)…
Nous sommes au cœur du plus pur Film Noir, Frank Bigelow vit ce qu'a vécu O'Hara (Orson Welles) dans The lady from Shanghai ou ce que vivra cinq ans plus tard Mike Hammer (Ralph Meeker) dans Kiss me deadly mais à un degré rendu encore plus fort par l'inexorable écoulement des heures qui lui restent à vivre, la rage de ne pas pouvoir comprendre ce qu'a à voir l'enregistrement d'un contrat avec son empoisonnement, la soif de justice et de vengeance.
"tout ce que j'ai fait c'est établir un acte de vente notarié" dit Bigelow avant de tomber mort. Que mettons-nous dans le procès verbal, chef?,  demande un policier. Mettez "Mort à l'arrivée": Dead On Arrival. Un tampon d'encre noire  marque les lettres D.O.A. sur l'archive de Frank Bigelow.