Enfermement des corps

Après Pika-Don et Affrontement des corps, voici la nouvelle page du libellé Tabou : l’œil de la camera.


A l'abri du dehors, tous les excès et toutes les crises peuvent être permises. L’incommunication entre générations et aussi les vieilles traditions, avec leurs châtiments corporels comme, par exemple, dans les Public School britanniques, sont dénoncées. Avec If…, Lindsay Anderson envoie, en 1968, un coup de poing à une société en pleine révolution sociale… ce que Eléphant (Gus Van Sant-2003) aurait probablement provoqué dans un contexte analogue.

Dans un monde clos, à l'abri des regards
… Les individus s'enferment dans leurs réactions contre la pression sociale et les tabous qu'elle éveille en eux. Que ce soit Le dernier tango à Paris, La maman et la putain, La grande bouffe, trois films sortis en 1973, les protagonistes poussent à l'extrême un mode de vie cloisonné et répétitif, étriqué et minable, reflet d'une société européenne qui se précipite sur le système de consommation. Mais ce sont aussi des productions d'avant-garde qui donnent aux sécrétions des corps, menstrues, vomissures, défécations, une force artistique, poétique, dans une "modernité" actualisée. Avec Théorème, Pasolini établira deux ans plus tard la condition nécessaire et suffisante pour qu'un entrepreneur sorte de son enfermement familial et se libère de ses vêtements pour aller bramer, nu, dans le désert.


Le monde clos de Théorème représente l’épuisement complet d’un milieu où l’Ange invité arrache à chacun ce qu’il cache : le père, la mère, les enfants et la servante. Comme dans la Susana de Buñuel (1951), les pulsions se doivent d’être exhaustives.


L'arme d'Eros
 
L'ange arrache à chacun ce qu'il cache...
 
L'ordre patriarcal est rétabli
 
Portes, barreaux aux fenêtres, patios fermés, Suzana est-elle l’ange enfermée ou le démon qui vient troubler l’ordre dans la famille catholique respectable ? C’est sous le signe de la croix que le pardon permettra à chacun de retrouver son rôle et de confirmer le patriarche dans son rang dominateur.



On retrouve ce monde clos chez Tsai Ming-ilang qui crée dans La Rivière (1997) un espace faussement ouvert où les personnages restent prisonniers, comme dans L'Ange Exterminateur de Buñuel, d'une virtualité, de l'impossibilité de réaliser leur devenir. Renvoyés à leur solitude, frustrés par les tabous auxquels les renvoient le corps social, laissant éclater leurs pulsions aussitôt amorties. Assaut incestueux de la mère, rencontres homosexuelles du père: ils ne se libèrent qu'en allant au bout de leurs mensonges, dans la reconnaissance du désir interdit, reconnaissance de l'un par l'autre –ici le père et le fils – et retour à cette conscience de soi que les préjugés sociaux avaient bridée.

Quand la société enferme
Le débat sur l'enfermement psychiatrique et le traitement des malades mentaux  parcourt un chemin difficile en Europe et ne parvient pas à avancer dans d’autres régions du monde. Le cinéma a été un véhicule essentiel sur ce thème. C’est d’abord La fosse aux serpents (The snake pit- Anatole Litvak-1948), puis l’œuvre de Tennessee Williams avec particulièrement Soudain, l’été dernier (Joseph Mankiewicz- 1959), bien sûr Vol au-dessus d’un nid de coucou (Milos Forman-1975) et enfin, très récemment Shutter Island de Scorcese. Mais comment oublier la représentation dévastatrice de l’enfermement que donne  Sam Fuller  dans Shock corridor (1963) comme par exemple cette séquence dans la zone des femmes...


De l’affrontement à l’enfermement, des années 1960 jusqu’à ce début de siècle, le corps devient objet de recherche. Le corps comme arme au service de tous les fanatismes ou des pouvoirs institutionnalisés dans ses excès idéologiques. C’est le témoignage de Pasolini qui, avant d’être assassiné, nous ramène à La République de Saló (Salò o le 120 giornate di Sodoma- Pasolini-1975). C’est le dernier enfermement possible, celui de la domination du corps et de ses flux territorialisés par l’art cinématographique, dans leurs cycles de manies, merde et sang. Tabou insupportable, la censure s’abattra longtemps sur le film.



Salo: inspection des corps


Traitant de l'enfermement carcéral avec Hunger, McQueen reprend en 2008 le témoignage du Saló de Pasolini avec les cycles "amour", "merde","sang", "mort". « Dans Hunger ; il n’y a pas de notion simpliste de héros, de martyre ou de victime » dit McQueen. Que devient l’acte politique lorsque la résistance au pouvoir se fait en étant le bourreau de son propre corps ? McQueen fait ainsi apparaître la notion, des plus actuelles, de « la conception des corps comme champ de bataille politique ». Ici, c'est le corps qui est interrogé. Le corps comme arme au service de tous les fanatismes, des pouvoirs institutionnels dans leurs excès idéologiques, ou le corps comme pure démonstration de l'exigence de liberté. Ce qui nous conduit à traiter de la libération des corps.

Hunger: grève d'hygiène



Le dossier TABOUS s'achève avec: Corps libérés