Article paru dans le Blog « Chambre
à Part » - Le Monde du 13
Février 2014 sur le débat sur la dissuation nucléaire à la Commission de la
Défense du Parlement
Cela pourrait presque être
le début d'une histoire drôle. Celle d'un rabbin, d'un pasteur, d'un imam et
d'un évêque qui entrent à l'Assemblée nationale pour y parler de la dissuasion
nucléaire. Pourtant, les auditions des aumôniers militaires en chef des cultes
israélite, protestant, musulman et catholique, devant la commission de la défense mercredi 12 février,
n'avaient rien d'une plaisanterie.
L'exercice peut sembler
surprenant – voire inconvenant – dans une République laïque où le pouvoir
politique est séparé du religieux. Seul député écologiste de la commission de
la défense, François De Rugy (dont la formation politique avait demandé ce
débat sur la dissuasion nucléaire qui se déroule sur plusieurs mois avec de
nombreuses autres auditions) n'a d'ailleurs pas masqué son étonnement devant
ces invités religieux. Mais, bien qu'athée revendiqué, l'élu a pour autant
salué un débat "intéressant" et utile pour "éclairer"
le politique.
Chose rare en effet, les
réflexions de ces religieux militaires, et particulièrement celles du rabbin
Haïm Korsia, dont la religion place la discussion au cœur de sa pratique, ont
permis d'aborder une question lourde – l'arme nucléaire – par ses versants
éthiques et spirituel.
DISSUADER UN SAGE OU UN FOU
Ainsi, un "enseignement
extraordinaire" de la Genèse – le meurtre de Abel par Caïn – éclaire
selon le rabbin Korsia la question de l'utilisation de l'arme fatale, "ultime
aboutissement d'une incapacité à parler" : "Caïn a tué Abel
lorsqu'ils ont arrêté de parler. Tant qu'ils se parlent, qu'ils se disputent,
il reste une possibilité d'arranger les choses. Ce que nous apprend cette
histoire, c'est que tant qu'il y a débat, même houleux, il y a possibilité de
refraternisation. La dissuasion nucléaire a forcé les États à mettre en place
des systèmes de parole, cela force à débattre."
Quant aux limites de la
dissuasion et des conditions dans lesquelles elle peut fonctionner, ce sont, là
encore, les Ecritures qui les expliqueraient le mieux. Et le rabbin de citer
deux passages de l'Ancien testament. "Lorsque le prophète Jonas vient
devant la ville de Ninive en disant 'si vous ne vous repentez pas, dans 40
jours, Dieu va vous détruire', la ville se repent. Celui qui menace est
crédible et les gens en face sont intelligents. La menace du fort à
l'intelligent fonctionne. Mais quand Moïse prévient Pharaon des plaies qui s'abattront
sur l’Égypte s'il ne laisse pas partir le peuple d'Israël, Pharaon n'écoute
pas. La dissuasion du fort envers le fou ne fonctionne pas".
"Avoir une vision
angélique du monde n'interdit pas de se prémunir des risques",
soutient le rabbin qui rappelle que "la Bible interdit la violence mais
la légitime quand il s'agit de la légitime défense" : "le
prophète Esaï dit qu'un jour le loup habitera avec l'agneau. Mais un autre
grand rabbin du XXe siècle, Woody Allen, a précisé que 'le jour où le loup et
l'agneau dormiront ensemble, l'agneau ne dormira quand même que d'un seul
œil'". Pas question pour autant de légitimer les yeux fermés
l'utilisation de l'arme nucléaire car "une société restera digne tant
qu’elle se posera cette question : nous devons protéger nos citoyens mais on ne
peut pas le faire en s’en lavant les mains, sans considérer que cela nous
touche".
"LES FACTEURS
POLITIQUES NE DOIVENT JAMAIS CONDUIRE A UNE SURDITÉ ÉTHIQUE"
Sans parler au nom des
musulmans – il n'existe pas de clergé dans l'Islam – l'imam Abdelkader Arbi
s'est lui davantage échiné à assurer que "l'Islam comprend une
multitude de courants qui vont du mieux disposés à l’égard de l’époque moderne
aux plus fondamentalistes" et que "la guerre en Islam tel que
les textes religieux le prévoit, n’est pas sanctifiée. Qu'importe ce qu'en
disent les fondamentalistes, "il n’existe pas de guerre sainte en
Islam, à l’origine des textes. Le djihad reste une attitude individuelle, un
effort sur soi même."
Enfin, Monseigneur Luc Ravel
a porté le message le plus pacifique rappelant que, depuis le concile de
Vatican II (1965), l’Église catholique juge que "tout acte de guerre
qui tend indistinctement à la destruction de ville entière ou de région avec
leurs habitants est un crime contre dieu et contre l’homme lui même"
et plaide pour un "désarmement général, équilibré et contrôlé".
"Il y a des facteurs
politiques qui ne doivent jamais vous conduire à une surdité éthique. Il n’y a
qu’une terre, sur laquelle nous pouvons vivre ensemble, c’est ma foi, mon
utopie. Mais celle-ci intègre aussi la fissure, que nous appelons pêché
originel, qui est dans les cœurs de chacun et qui nous entraîne comme un poids
vers le mal. Donc soyons lucide et raisonnable", a exposé
l'évêque. "Il n’y a pas de cœur plus fort qu’un cœur brisé",
lui a répondu le rabbin, amenant en conclusion le débat sur la spécificité de
la dissuasion nucléaire française : "c’est parce qu’on a souffert,
qu’on a connu la guerre sur notre sol, que l'on sait ce que c’est et qu'on ne
peut le souhaiter à personne".
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